Entretien Pedro Pauwels

En février, Pedro Pauwels proposera deux soli dans le cadre du festival francilien Faits d’Hiver, organisé par Micadanses : son emblématique Cygn Etc… et sa toute nouvelle création Mr. Slapstick autour du monstre sacré du 7ème art Buster Keaton. Interprète vs chorégraphe, temps qui passe, mémoire du corps et Occitanie, autant de thématiques abordées avec l’artiste dans cet entretien.

Votre solo Mr Slapstick est né de votre supposé ressemblance avec Buster Keaton. Etes-vous d’accord avec cet air que l’on vous prête ?

Vous savez on m’a souvent trouvé un air de Fred Astaire par le passé. Là il s’agit d’un autre acteur de l’âge d’or d’Hollywood ! En fait cette histoire de ressemblance avec Buster Keaton est survenue au cours d’une répétition d’une de mes précédentes pièces Playlist, projet à solos multiples autour de la chanson. (2019). Le dramaturge Marcos Malavia, alors sur la production, cherchait depuis de nombreux jours à qui je lui faisais penser et en pleine répétition il s’est écrié : « Buster Keaton ! Tu me fais penser à Buster Keaton … » Soit.

Personnellement le travail de cet artiste n’est pas ma tasse de thé mais bien évidemment pour Mr Slapstick j’ai revisité toute son œuvre pour en saisir au plus près les ressorts et les subtilités.

Pour ce solo vous vous êtes adjoint les services de Jean Gaudin à la co-chorégraphie. Comment avez-vous travaillé ensemble ? Quel a été la part de Pedro interprète et de Pauwels chorégraphe ?

Vaste sujet que la chorégraphie ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Faire du mouvement ? L’agencer ? Le penser ? Historiquement, un chorégraphe était appelé maître de danse, il ne proposait pas de matière, ne créait pas de pas. Il s’attachait surtout à enseigner la manière de faire tous les différents pas de danse dans toute la régularité de l’art et de conduire les bras à chaque pas.

Jean est intervenu dans un second temps du processus de création. Nous avons travaillé de concert à la proposition de gestes, de phrases chorégraphiques et avons opéré des choix communs. Il se trouve aussi qu’il avait – il y a une quinzaine d’années – travaillé sur Buster Keaton notamment à travers la reproduction exacte d’une scène mémorable du Figurant d’Edward Sedgwick, interprété entre autres par Buster Keaton.

Jean Gaudin a toujours eu une sa volonté indéfectible de raconter les êtres humains avec humour et parfois gravité. Quel chemin avez-vous pris pour ce solo où vous parlez notamment de l’exploitation de la temporalité propre à l’univers de Keaton ?

Oui, la temporalité car nous abordons ici d’un être de cinéma. Le temps est au cœur du 7ème art : il n’a de cesse de jouer sur le rythme. Temps court, temps long, rupture. Dans le cinéma de Buster Keaton il y a beaucoup de marche. Le burlesque demeure au centre du cinéma de Keaton. Nous avons décidé d’emprunter ce chemin. Au plateau – totalement dépouillé – ne se trouve qu’une chaise et moi-même. Je ne m’y assois jamais mais, de manière totalement burlesque, je vais … en tomber amoureux. Contrairement à Charlie Chaplin, Buster Keaton subit les objets qui l’entoure. Charlot en joue et les maîtrise, Buster se laisse happer, déborder par eux.  En perpétuel déséquilibre, subissant par fatalité des coups impitoyables, le corps de Buster Keaton est toujours chahuté.  Je joue un personnage totalement onirique, entre humour et gravité. Mais attention je ne suis pas Buster Keaton dans Mr Slapstick. Loin de moi l’idée d’incarner cet artiste. Je ne porte pas son éternel chapeau, je ne propose pas au plateau un sosie ou une copie.

La pièce a été créée en Occitanie puis a été jouée en Ile-de-France. Comment fut-elle accueillie ?

Au sortir des premières représentations ce qui est apparu en tout premier lieu est l’étonnement du public à me voir performer 50 minutes durant, seul au plateau. Je n’y sors jamais, je ne m’arrête jamais. Cette pièce est très physique, ultra-millimétrée. Exigeante je dirais, et le public a salué la performance du danseur plus très jeune que je suis dirons-nous (rires). Je crois aussi que Mr Slapstick ne laisse pas indifférent. Je dis cela car lors de la première, à la toute fin, il a fallu un long moment avant que les applaudissements n’arrivent. Ce long moment exprime bien qu’il a fallu un temps au public pour revenir à lui, pour s’extirper du solo.

Dans un second temps, je dirais que j’ai surpris l’auditoire. En effet, comme dans tous les projets chorégraphiques, Mr Slapstick a connu au gré de ses sessions de créations des évolutions par rapport à ce que les premiers éléments de communication adressés aux médias et institutions laissaient entrevoir. Aussi le public de Montauban a été très étonné de découvrir le solo. Il avait pu lire ici ou là que des extraits de films, des références textuelles seraient intégrés dans la scénographie ; or il n’en fut rien car avec Jean nous avons décidé, en cours de création, de jouer la carte de l’épure.

Dans le cadre du festival Faits d’Hiver où est programmé Mr Slapstick, vous allez également jouer un de vos tubes : Cygn Etc... 24 ans après sa création. Quel regard portez-vous sur cette l’œuvre ? Comment l’appréhendez-vous avec votre corps d’aujourd’hui ?

Cygn Etc… est la pièce qui m’a révélée. Non pas en tant que danseur mais à moi-même. J’ai su à travers elle que ce travail autour de l’interprétation était vraiment l’axe à creuser. Depuis j’ai toujours travaillé cette question et jouer des frontières interprète/chorégraphe.  Concernant la question « l’appréhension de Cygn Etc… avec mon corps d’aujourd’hui », je vous répondrai que je danse avec toujours la même énergie et intensité mais le temps de récupération n’est plus le même. Je dirais également que le dynamisme, la physicalité que j’y mets ne sont sans doute pas induites par les mêmes leviers. Inconsciemment ou par la sagesse acquise, je dose plus subtilement l’énergie que je déploie sur scène, y mets moins d’agressivité mais en même temps je ne me sens pas du tout différent par rapport à la création.

Cette pièce cela fait 24 ans que je la danse. Bon an, mal an, plusieurs fois par an mais elle est clairement un de mes succès. Dernièrement, je l’ai interprété en Guadeloupe. Cygn Etc… est inscrit dans mon corps. Il suffit d’actionner la musique pour qu’irrémédiablement le geste apparaisse. C’est assez troublant d’ailleurs de voir à l’œuvre la mémoire du corps.

Je suis heureux de proposer dans le cadre de Faits d’Hiver ma plus récente création et ce solo emblématique de mon répertoire. Il a été créé à Micadanses, réunissant les chorégraphes Anne-Marie Reynaud, Odile Duboc, Carolyn Carlson, Françoise Dupuy, Elsa Wolliaston, Wilfride Piollet, Patricia Karagozian et Zaza Disdier. De savoir que certaines d’entre elles seront présentes ce 5 février pour assister à la représentation me touche beaucoup. Signe du temps qui passe, 50% de la distribution nous a malheureusement quitté mais Zaza, Elsa seront là et je m’en réjouis.

Et puis, je pense que Mr Slapstick sera ma dernière création. Il est temps de raccrocher. Cette double programmation à Faits d’Hiver, le beau soutien de Christophe Martin est un beau cadeau !

Vous nous dîtes là que vous allez tirer votre révérence ?

Tout à fait ; il faut savoir laisser la place aux nouveaux. Il faut savoir aussi être réaliste : le corps a ses limites. Cela dit, je sais que je danserai toute ma vie mais différemment, plus sur scène. La danse peut prendre tellement d’autres formes, hors du plateau. Et puis j’ai des pièces dans mon répertoire: elles pourront continuer à être jouées. En tous les cas, je vis très bien cette retraite qui s’annonce. J’ai eu une belle carrière et ne nourris aucun regret. Après nous savons tous qu’il y a eu tellement de fausses sorties, de come-back tonitruants… allez savoir.

En attendant votre compagnie basée à Montauban fourmille de projets pour 2024 …

Tout à fait. Nous préparons Centcorps, une création pour 100 danseurs amateurs à partir de la figure du Centaure du sculpteur Bourdelle, né à Montauban. L’idée est de recréer un musée à ciel ouvert.  Et puis La caravane de la danse fêtera sa cinquième édition à Montauban (mais aussi et pour la seconde fois à Carcassonne). Ce projet mené sur le Tarn-et-Garonne repose sur une équipe de danseurs mêlant danseurs professionnels et étudiants issus de grandes écoles françaises. Durant trois semaines, 3 jeunes danseurs et danseuses sont immergés dans la vie d’une compagnie sous la forme d’une résidence de création, une sorte d’académie chorégraphique d’été. Nous travaillons autour de la chanson chorégraphiée à partir d’une de mes pièces Playlist.

La Caravane de la Danse investit les places publiques et permet de toucher un public qui ne ferait pas la démarche de venir dans un théâtre pour assister à un tel spectacle. C’est une belle occasion de démocratiser notre art, de danser sous toutes ses formes, regarder et pratiquer. Cela pallie aussi la problématique de mon département assez pauvre en termes de lieu de diffusion de la danse. Nous le traversons alors avec un plateau 6×6 pour y insuffler de l’art chorégraphique.

Propos recueillis par Cédric Chaory

© Henri Aubron

Pedro Pauwels – Mr. Slapstick – Faits d’Hiver (faitsdhiver.com)