Angelin Preljocaj : entre répertoire et nouveauté
L’an passé, le chorégraphe aixois proposait à La Coursive sa relecture personnelle du Lac des Cygnes. Il revient cette année avec deux classiques de son répertoire et une création tout en langueur. Interview d’un des plus célèbres chorégraphes français actuels.
Vous remontez Noces et Annonciation auxquels vous ajoutez une nouvelle création. Quid de ce programme hybride ?
Pour l’édition 2023 de Montpellier Danser, on m’a proposé de revisiter quelques œuvres des 80/90’s accolées à une création. Noces (1989) et Annonciation (1995) se sont imposées et j’y ai ajouté une nouvelle création, conçue en regard des deux premières. Torpeur n’a à priori rien à voir avec elles mais insérer entre, sa dramaturgie abstraite, son énergie lient le tout et créent un programme très cohérent.
Ces pièces de répertoire n’ont rien perdu de leur mordant, Noces est même carrément en phase avec #MeToo. Comment vous est-venue l’idée d’un tel sujet ?
Noces fait écho à ce que j’ai pu vivre dans ma famille d’origine albanaise. Enfant, je me suis souvent rendu à des mariages traditionnels au pays. Ces unions, célébrées dans les régions reculées des montagnes d’où vient mon père, s’apparentent à des rituels étranges et brutaux, quintessence d’un modèle patriarcal. Je trouvais cela très violent. Au moment de créer Noces, j’y ai repensé dans une semi-conscience et ai projeté ce rituel sur la musique de Stravinsky.
Le Angelin Preljocaj d’aujourd’hui est-il le même que le jeune créateur des années 80’s ?
Je suis animé des mêmes choses, du même feu. La danse est quelque chose qui me porte. Ce métier est ma façon de tenir debout, face au monde. C’est tout simplement vital pour moi.
Ces pièces de répertoire traversent le temps. Ont-elles changé, bougé au fil des décennies ?
Ce sont les danseurs qui sont différents. Vous savez je n’aime pas changer mes pièces. J’aime l’idée qu’elles soient datées, qu’elles gardent leur ancrage. Duchamp disait « L’art est une chose beaucoup plus profonde que le goût d’une époque. Et l’art d’une époque n’est pas le goût de cette époque. » A trop vouloir mettre au goût du jour une œuvre, on en perd sa substance, son essence. Donc oui mes œuvres sont chargées de leur époque et quand je les remonte ce sont les danseurs qui apportent leur fraîcheur, leur patte.
Dans l’actuelle course folle à la création, revenir à votre répertoire est-il pour vous salvateur, fécond ?
C’est une très bonne question. Je pars toujours de l’avant. Je n’aime pas reproduire. Quand je remonte une précédente œuvre, je me surprends à aimer tel passage et me dis « tiens, je pourrais repartir de cette substance, retenter … » mais je m’y refuse aussitôt. Je me repose sur l’instant, travaille sur l’avenir, mon époque.
Pour ce programme vous signez aussi la création Torpeur. Pourquoi explorer cet état de corps ?
En tant que chorégraphe les états de corps m’inspirent. La torpeur a ceci de particulier qu’elle est plus un état mental que de corps. C’est ce moment où vous n’avez plus d’énergie, où vous basculer dans une sorte de bien-être. Elle relève de la volonté en fait : on pourrait bouger mais on n’a pas envie. On décide consciemment ou pas de se mouvoir. La torpeur se présente donc comme un vrai défi à mettre en mouvement.
Propos recueillis par Cédric Chaory
©Didier Philispart
Noces / Annonciation / Torpeur – Ballet Preljocaj. La Coursive, Scène Nationale La Rochelle. Les 9 et 10 janvier 2024