Lise Saladain

Danse avec les clics

La Manufacture ne chôme en ces temps de pandémie. La fermeture aux publics de ses lieux bordelais et rochelais à laisser place à Danse On Air, un objet numérique foisonnant qui fait la part belle à la culture chorégraphique. Lise Saladain, directrice déléguée du CDCN Nouvelle-Aquitaine, revient sur cette expérience salutaire. 

D’où vous est venue l’idée de Danse On Air, singulier objet de savoirs chorégraphiques ?

Lors du premier confinement, en mars dernier, toutes nos actions en direction des publics ont été empêchées. Elles représentent une importante part de notre activité, tant à Bordeaux qu’à La Rochelle, avec 4 employées investies au quotidien. Nous attachons une très grande importance à la proximité avec notre public et il nous fallait impérativement garder ce lien et dialogue. Je suis très attachée à la dimension éducative et aux partages des savoirs. Cette diffusion du savoir m’a semblé être la voie idéale pour garder le contact. Très rapidement, et à l’initiative de l’équipe, nous avons pensé Danse On Air, programme de culture chorégraphique en ligne. Il ne s’agit en aucun cas de substituer le virtuel au vivant via la diffusion de spectacles en streaming – d’autres savent le faire bien mieux que nous, notamment numéridanse – mais de développer une offre dédiée à la culture chorégraphique sur le net dans une logique de relation et de médiation en direction des publics.

De quoi se compose Danse On Air ?

D’ archives historiques, vidéos, podcasts, articles, discussions croisées …L’intérêt du numérique est qu’il permet une pluralité de formes d’interactions. C’est un terrain de jeu exceptionnel dans la continuité de notre activité artistique. Nous avons dévoilé notre 9ème « édition » de Danse On Air hier, vendredi 5 février. Entre le premier confinement et aujourd’hui nous avons beaucoup travaillé au développement du contenu, largement aidés par les retours enthousiastes des internautes et des institutions. Ces dernières nous encouragent dans notre démarche : nous sommes notamment soutenus par le programme Aquitaine Cultures Connectées, la ville de Bordeaux … Depuis le mois de décembre notre contenu est thématique avec un Danse On Air consacré à la danse et l’écologie. Nous pensons vraiment ce projet comme un outil de médiation qui pose un regard sur la création actuelle et sur l’histoire de l’art. Sur les liens qui les travaillent.

Comment travaillez-vous à sa conception ?

La moitié de l’équipe de La Manufacture travaille activement à Danse On Air. Nous avons aussi un « comité artistique », groupe de recherche composé d’Agnès Benoît – fondatrice de la librairie itinérante sur la danse, Books on the Move – de La Tierce et Marcela Santander Corvalán, artistes que nous accompagnons à La Manufacture. Nous invitons aussi des personnes au regard plus « naïf » sur l’art chorégraphique. Ils nous bousculent un peu et nous évitent d’employer un vocabulaire trop endogène car il s’agit bien ici de tendre à la vulgarisation.

Nous travaillons également ensemble à mettre la lumière sur des initiatives régionales. Ainsi pour cette édition dédiée à l’expressionnisme nous avons organisé une rencontre entre Marcela Santander et Jean Masse, danseur – chorégraphe qui vient d’ouvrir l’espace Karin Waehner dans une ancienne ferme à 60 km de Bordeaux. Il est une vraie personne-ressource sur l’expressionnisme en danse.

Pourquoi cette thématique précisément ?

Si vous observez la danse actuelle, il y a un vrai retour à l’expressionnisme. Le visage neutre de la danse du début des années 2000 tend à s’effacer au profit d’une plus grande intensité expressive. Je pense au travail de Marcela avec Disparue, mais aussi à Marlene Monteiro Freitas, Volmir Cordeiro. Aussi notre numéro de février aborde le Bauhaus, cette école d’arts appliqués et d’architecture devenue courant artistique, créée par Oskar Schlemmer. Éloise Deschemin en racontera l’histoire via notamment la question du masque dans un format de 10-15 mn foisonnant d’inventions. La chercheuse en danse Isabelle Launay posera la question de la transmission dans son article, Une sorcière en cache une autre, extrait du n°30 de la revue Repères, cahier de danse en se penchant sur la façon dont la danseuse et chorégraphe Latifa Laâbissi s’est emparée de la Danse de la sorcière de Mary Wigman pour la transformer, la citer et la «copier». Les internautes (re)découvriront aussi Valeska Gert souvent citée comme danseuse officieuse et subversive de la danse d’expression. En tout une dizaine de propositions, toute différentes, animent Danse On Air de février.

Quels sont les retours du public ?

Ils sont nombreux à nous remercier pour cette ressource interactive. Nous sommes très attentifs à leurs retours car ils nous aident à parfaire Danse On Air. Ce qui est intéressant avec le numérique c’est que vous pouvez quantifier en temps réel les résultats d’une telle opération avec les chiffres de connexions, etc. mais je souligne que, malgré sa virtualité, il peut se révéler aussi une expérience très chaleureuse et intime comme les cours de danse en ligne que nous offrons gratuitement. Je me souviens qu’en décembre dernier un atelier animé par Ambra Senatore et Marc Lacourt nous a plongé dans une vraie intimité avec les artistes. Les participants étaient chez eux, derrière leur écran, à pratiquer la danse dans l’ambiance cotonneuse de leur logement. Ce format peut être plus humain que nous le croyons !

Danse On Air est-il voué à perdurer dans le temps ?

Nous allons pérenniser l’expérience pendant 2 ans. Actuellement la moitié de l’équipe du CDCN est mobilisée sur cet objet qui prend beaucoup de temps à être conçu. Il y a une vraie dynamique autour de DOA alors que nous étions dans le creux de la vague il y a un an. Aujourd’hui l’idée est de développer un site qui condenserait toute la matière accumulée depuis 9 mois. À l’instar de datadanse qui existe depuis 5 ans (à l’initiative de La Maison de la Danse, du CND et de Chaillot), nous souhaitons créer un site qui revendique une vulgarisation de la danse, où spécialiste et esthéticiens mais aussi jeunes artistes et pratiquants qui ont besoin de repères et nourritures intellectuelles puissent se retrouver, apprendre et échanger.

Propos recueillis par Cédric Chaory

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