Peter Nkoghé

Voyager pour renaître

Le 5 décembre, à l’Espace Bernard Giraudeau, Peter Nkoghé présentait Jusqu’à demain, dernier volet d’un triptyque entamé il y a 2 ans. Rencontre avec le chorégraphe installé depuis à La Rochelle et qui garde un pied ancré au Gabon, à 5184 km.

Jusqu’à demain est le troisième volet de votre triptyque consacré à la résistance face aux maux qui minent notre société. Pouvez-vous nous présenter les deux premiers : Ce que tu vois n’est pas ce que tu crois et C’est en marche ?

Ce que tu vois n’est pas ce que tu crois est un solo que j’interprète moi-même et qui aborde les discriminations et jugements qui sont portés sur nous, le regard des autres et la question des territoires…Le trio C’est en marche porte lui un regard sur la situation chaotique que traverse le monde et l’urgence à agir… Comment exister, trouver sa place dans cette société en ébullition pour les peuples modestes ?

Sur l’ensemble du triptyque, j’ai invité des danseurs et danseuses de parcours et d’horizons différents pour aborder ces sujets hautement importants pour moi et qui sont sources de plusieurs incompréhensions, ce qui cause de nombreux conflits dans le monde. L’idée était de recueillir des avis de chaque interprète car venant de pays différents les situations ne sont pas les mêmes. Il était donc important pour moi de travailler sur ces différences.

Jusqu’à demain met en scène le Bwiti, rite traditionnel pratiqué au Gabon. Qu’est-ce que ce cérémonial ?

Jusqu’à demain ne met pas directement en scène le Bwiti mais les valeurs humaines qu’il enseigne aux hommes et aux femmes, appelés initié-es. En langue c’est BANDZI. Pour parler du cérémonial brièvement car il reste strictement accessible aux Bandzis (initiés), je dirai que le Bwiti est un rite ouvert à tous les humains pour les garder connecter à la divinité (le créateur NZAMBE KANA) d’une part, et d’autre part, de nous conduire et nous guider à affronter ou traverser les choses du Monde : la vie, le bien, le mal, le pouvoir, le désir, le plaisir, les violences etc. En un mot permettre l’amour et l’acceptation entre les humains…

Le cérémonial a donc plusieurs phases en fonction des situations. Dans Jusqu’à demain nous essayons d’aborder la phase du voyage vers la divinité pour renaître, se régénérer devenir des nouvelles âmes pour atteindre cette dimension spirituelle qui permettra peut-être à l’être humain aujourd’hui que « Accepter sa différence, c’est aimer celle des autres… »

De manière audacieuse vous mêlez chants incantatoires traditionnels du Sud-Est du Gabon à la Symphonie no 3 de Gorecki. D’où vous est venue l’idée ?

La symphonie no 3 de Henryk Gorecki est ma première inspiration pour la création de ce volet 3. Ce chant plaintif, cette mère qui pleure son fils parti en guerre a révélé en moi cette image désespérée de la race humaine qui est en train de se perdre. A chaque fois que j’écoute le Mouvement 1 de cette symphonie, « I.Lento-sostenuto Tranquillo Ma Cantabile », j’ai les larmes pour ce monde…

Jusqu’à demain parle aussi du vivre ensemble, de co-exister…J’ai mis des corps et des styles différents en scène, j’avais tout simplement envie d’aller plus loin sur cette question de différence en utilisant ce mélange de sonorités et voir ce que ça donnerait pour l’acte 1 qui est «Voyager pour renaître ».

Cérémonial chorégraphique, Jusqu’à demain entend nous libérer, nous faire prendre de la hauteur. De quoi devons-nous affranchir ?

C’est d’abord revenir à l’essence même, que je pense, la nature humaine a perdu ou est en train de perdre… Vu la situation où va le monde, il y a urgence à se ressaisir. Nous ne pouvons plus continuer avec la dimension violente de l’être humain telle qu’elle se manifeste de nos jours. Les incompréhensions qui sont sources de nos conflits. Comme je l’ai dit plus haut, il est temps d’agir et de comprendre ce pourquoi nous sommes-là, l’amour pour l’autre, l’humain… Et c’est donc ce combat, cet appel à résister que Jusqu’à demain se veut être pour les hommes, sans distinctions.

La pièce célèbre le vivre-ensemble. Votre compagnie, elle-même, métisse les corps, les techniques. Comment avez- vous travaillé à la partition chorégraphique avec vos interprètes ?

Comme vous le dite, les corps et les techniques sont différentes et nous avons travaillé sur ces différences entre les danseurs. La question était comment un mouvement pouvait résonner dans le corps de chaque interprète en gardant la ligne et l’esthétique de la partition chorégraphique. Cela n’a pas été facile surtout quand on cherchait à être vraiment ensemble dans l’exécution, la structure et la rythmique de la gestuelle, j’ai dû concocter avec ça et c’est ce qui m’a fait le plus plaisir : travailler avec les énergies et ses possibilités différentes. Il y a eu aussi la question des cultures, dans le spectacle il y a un duo avec deux hommes qui évoque leur amour pour l’autre, On cherchait quelque chose de très sensuel et intime avec tout ce qui peut exister dans un couple : séparation, retrouvaille etc. Cela n’a pas été facile au début, nous avons essayé plusieurs choses et nous sommes bien amusés.

Vous revenez d’une récente tournée en Afrique Noire, organisée par l’Institut Français. Quels souvenirs en gardez- vous ?

C’est d’abord un grand plaisir pour moi et l’ensemble de l’équipe, ça été très chouette ! Cette tournée n’est pas seulement portée par l’Institut français mais aussi soutenue par la SPEDIDAM-Paris. Je remercie l’ensemble de nos partenaires pour cette tournée. Je suis très content que l’Institut français du Gabon ait coordonné celle-ci et aussi que la première africaine du diptyque ait eu lieu dans mon pays d’origine, C’était un véritable honneur. Il y a eu des beaux moments pendant les ateliers, les bords de scènes et une belle symbiose avec les publics  rencontrés.

De nombreux projets sont d’ailleurs en construction avec les différents lieux où nous sommes passés. Je profite de votre interview pour remercier l’ensemble mon équipe, les danseurs, la production et l’administration sans oublier encore une fois de plus les partenaires et les acteurs locaux rencontrés.

Votre compagnie est installée à La Rochelle depuis quelques années. Comment vous sentez-vous dans cette ville qui chérit l’art chorégraphique ?

La Compagnie Mboloh a été Fondée au Gabon (2003), l’année prochaine nous fêterons nos 20 ans. J’ai choisi de donner un nouvel envol à la compagnie en l’implantant à La Rochelle, en Charente-Maritime, région Nouvelle Aquitaine. Je suis arrivé à la Rochelle pour la première fois au Centre Intermondes en 2008 puis à nouveau 2009 quand j’ai été lauréat Visa pour la création de Culturesfrance (institut français aujourd’hui). J’y ai alors travaillé et créé mon solo VIZ’IONS- XP au CCN de La Rochelle alors dirigé par Kader Attou. La ville de La Rochelle était également partenaire du projet. Je pense que ce sont ces premières rencontres qui ont guidé mon choix à m’installer à La Rochelle.

Ma compagnie ce sont deux ancrages géo-culturels distincts, une même volonté d’inscription territoriale nationale et internationale au centre. L’A5184KM (Ass. Loi 1901), porteuse de la Compagnie Mboloh, appuie cette volonté de co-construction et diffusion de la matière créative.

Mes premières venues sont incontestablement un atout pour une intégration dans la ville mais pour autant il faut que la compagnie trouve sa place ce qui n’est pas gagné. Il faut travailler auprès des Institutions, prouver ses capacités et c’est ce que j’essaie de faire depuis 2 ans sans oublier que le Covid a contrarié notre installation. Mais j’y crois : l’humanisme est au coeur de la démarche, nourrie par une réflexion artistique inter-culturelle traversée d’histoires où l’ici est déterminé par l’ailleurs et se transforme et au contact de l’autre.

Propos recueillis par Cédric Chaory

©Hugo Lafitte