
Calixto Neto et ses "Bruits marrons" : une communauté en marche
Il est des rencontres dont l’écho ne se mesure qu’avec le temps. Celle de Calixto Neto et d’Olivia Grandville, en 2019 à Nancy, semblait alors sans lendemain. Lui, l’enfant de Recife, nageait encore dans d’autres eaux. Il lui faudra trois ans, et une expérience marquante auprès de Lia Rodrigues, pour trouver le désir de convoquer les échos du classique. C’est donc sur ce fil tendu entre mémoire et intuition qu’il a tissé les premiers gestes de Bruits marrons. Sortie de résidence au CCN Mille Plateaux de La Rochelle.
Ce soir-là, troisième semaine de résidence. Une chapelle, une attente flottante. Ils sont cinq sur scène. Une gestuelle simple, comme murmurée, suspendue dans une musique rythm’ n’ blues qui semble elle aussi retenir son souffle. Les hanches oscillent, les bras s’élèvent parfois, mais jamais la tension ne cède. On avance lentement, on se rassemble, on esquisse, ensemble, quelque chose qui ressemble à une danse d’été. Un rien enfantine, un rien nostalgique. On claque des mains, on improvise, et soudain, la communauté est là. Comme une évidence.
Puis surgit Andrège Bidiamambu, l’afro-samouraï autoproclamé, dans un solo souple, feutré, presque animal. Le groupe s’efface pour lui, respectueux. C’est un sommet de grâce, furtif et fragile.
La transition est douce, presque imperceptible. On installe un piano sur le côté, quelques partitions s’éparpillent au sol. Calixto Neto, sans jamais appuyer, nous rappelle que nous assistons à une répétition ouverte. Que tout cela est un chantier, un travail en train de se chercher. Et pourtant, tout est là : la matière, la tendresse, la rage contenue.
Le piano vibre. Les corps tanguent, se soutiennent, chutent parfois, mais sans jamais rompre le fil invisible qui les lie. La musique devient course folle, déséquilibre assumé. Même le piano, poussé, brinquebalé, continue de résonner. Le pianiste ne lâche rien.
Bruits marrons, s’inspirant de l’œuvre radicale et tourmentée de Julius Eastman, ne cherche pas à reconstituer le passé. Calixto Neto rêve d’un quilombo d’aujourd’hui : une communauté libre, vibrante, éphémère, qui danse ses résistances autant que ses espoirs. Il convoque les traditions afro-américaines — jazz, soul, hip-hop — comme on allume un feu. Pas pour s’y chauffer, mais pour y rassembler les vivants.
Originaire du Brésil, forgé par les chemins buissonniers de la danse expérimentale, Calixto Neto persiste à donner voix et corps aux marges, aux oubliés, aux identités invisibles. Il le fait sans didactisme, sans emphase. Avec ce mélange rare de force tranquille et de vitalité débridée qui caractérise les grandes promesses.
Le rendez-vous est pris : Festival d’Automne 2025. On sera là.
Cédric Chaory.
– 7 & 8 octobre 2025 – PREMIERE // Points Communs, Cergy Pontoise dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
– 17 & 18 octobre 2025 // Biennale de Charleroi Danse avec Kaaitheater
– 19, 20, 21 novembre 2025 // MC93 dans le cadre de la programmation du CND et du Festival d’Automne à Paris