Focus Performing Arts au Luxembourg

Zu Lëtzebuerg danze mir och.*

Kultur | lx – Arts Council Luxembourg et ses partenaires ont organisé leur second Focus Spectacle vivant au Luxembourg. Du mercredi 6 au samedi 9 novembre 2024, furent mis en avant tous les arts de la scène du Luxembourg. 58 professionnel.le.s internationaux.ales du secteur, programmateur.rice.s, artistes et représentant.e.s d’institutions, venus de 20 pays, ont ainsi pu découvrir la scène luxembourgeoise au travers d’un programme offrant des présentations de pitchs, de work-in-progress, mais également des spectacles, ainsi que des moments de réseautage avec 70 professionnel.le.s du secteur luxembourgeois. Umoove y était et revient sur les événements danse qui ont animé la semaine.

En ce début novembre, la brume est partout, de La Rochelle à Berlin, pas de raison donc que le Luxembourg échappe à l’humidité automnale. Au sortir de sa gare néo-baroque, c’est donc parée de mystère que la capitale du Grand-Duché se laisse entrevoir, riche de son patrimoine architectural millénaire et d’écrins de verdure omniprésents, lovés dans la vallée et alentours. Du Luxembourg, il faut bien le dire, nous savons peu de choses et il est aisé d’aligner les clichés résumés ici en une phrase : « Petit paradis fiscal pluvieux où il fait bon randonner à l’ombre d’une chênaie. ». Quand on pense Luxembourg, spontanément le mot culture ne nous vient pas à l’esprit. Et pourtant, une rapide balade dans le (petit) centre-ville de sa capitale permet de saisir ce désir qu’a le pays d’insuffler dans son espace public une bonne dose d’art contemporain. Sculptures, fresques et installations artistiques enveloppent le badaud dans chaque artère qu’il traverse. Sans compter le nombre confortable de musées et galeries qui animent les 24 quartiers que composent la cité. Ce qui fait bien évidemment le miel de la Luxembourg Art Week dont la dixième édition débute ce 22 novembre.

Alors ça danse le Luxembourg ?

Mais qu’en est-il des arts vivants ? Le second Focus Spectacle vivant, plateforme de promotion pour les créations contemporaines et forum pour aborder les défis de la coopération internationale dans ce secteur, a offert l’opportunité de présenter le paysage des arts de la scène en créant un espace d’échange entre artistes et producteur.rice.s ou diffuseur.rice.s de spectacles. Concernant la danse, violon d’Ingres du site umoove.fr, ce fut l’occasion de découvrir les nouvelles créations des chorégraphes Jennifer Gohier et Léa Tirabasso.

La première y a en effet présenté son Carnaval (création 2024) sur la scène des Rotondes (édifices ferroviaires d’un diamètre de 52 mètres et d’une hauteur de 15 mètres, construites par les Chemins de Fer Luxembourgeois). Forte de sa précédente création GO ! jouée à ce jour plus de 100 fois, la chorégraphe messine signe une emballante oeuvre à l’adresse du très jeune public (dès 4 ans), variation colorée et fantaisiste librement inspirée de l’œuvre de Camille Saint Saëns Carnaval des animaux. Au plateau musiciens et danseurs.ses rivalisent de facéties pour incarner un turbulent bestiaire, non sans onirisme. Bon nombre d’ingrédients extravagants sont ici réunis pour capter l’attention du public : des costumes en veux-tu en voilà, des acrobaties bondissantes, des confettis multicolores. Sans oublier un très subtil rapport musique/danse. Si l’on en croit les éclats de rires mais aussi l’attention des enfants présents dans la salle ce jour-là, Carnaval semble bien parti pour remporter le même triomphe que son grand-frère GO !

C’est un tout autre voyage que nous propose Léa Tirabasso au TROIS C-L | Maison pour la danse, structure de référence en matière de danse contemporaine et centre névralgique du focus pour les propositions chorégraphiques (depuis 2007, la maison est dirigée par Bernard Baumgarten, chorégraphe actif dans les années 90/2000). à travers la présentation d’un work in progress de sa pièce Into the Bushes. Tout comme le GO ! de Jennifer Gohier, la précédente création de Léa (Starving Dingoes) avait retenu l’attention des festivaliers et professionnel.les des récentes éditions du festival d’Avignon OFF. On retrouve ici l’univers unique pour ne pas dire complètement barré de la lauréate du Lëtzebuerger Danzpräis 2023. Pièce pour six danseurs, Into the bushes explore la théorie de l’évolution et remet en question la notion d’exceptionnalisme humain, s’inspirant du livre du paléontologue Henry Gee : The Accidental Species, ouvrage qui conteste l’idée que l’homme est le sommet de l’évolution.

Avec l’humour absurde et la naïveté touchante qu’on lui connaît et qui fait tout sa singularité, la chorégraphe – basée entre Londres et Luxembourg – interroge les stigmates, la honte et les conventions sociales. Cette exploration des états physiques et émotionnels que tisse Into the bushes est tour à tour féroce, joyeuse, intrigante … Ce work in progress totalement emballant donne envie de voir l’œuvre finie (ça tombe bien, elle joue ce 20 novembre au Klap Maison pour la danse de Marseille !). Espérons que cette compagnie dingo s’échappe de sa brousse pour envahir nos plateaux français !

La scène chorégraphique luxembourgeoise en pleine effervescence

Le paysage chorégraphique luxembourgeois s’est considérablement enrichi ces dernières décennies, porté par un essor tant au niveau des spectateurs que des créateurs. La danse contemporaine domine la scène avec une programmation diversifiée dans un riche réseau de théâtres et centres culturels qui ont multiplié dans leur programmation, ces 20 dernières années, les propositions de spectacles chorégraphiques. Petite liste non exhaustive des dits lieux : les incontournables Théâtres de la Ville de Luxembourg, le Théâtre d’Esch, le Kinneksbond de Mamer, Neimënster, la Kulturfabrik à Esch-sur-Alzette, les Rotondes à Luxembourg. Si les grands noms internationaux comme Hofesh Shechter ou Sidi Larbi Cherkaoui attirent toujours les foules, les artistes locaux, tels qu’Anne-Mareike Hess ou encore Sarah Baltzinger et Isaiah Wilson (leur Mégastructure est un objet chorégraphique parfait, proposition formelle novatrice et jubilatoire) s’imposent dans leur pays et sur la scène internationale.

Aujourd’hui, pas moins de 25 chorégraphes sont actif.ve.s sur le territoire et à l’international avec en moyenne 150 représentations par an à l’international. Lors du focus, trois d’entre eux – Anne-Mareike Hess, Giovanni Zazzera et Brian Ca – ont eu l’opportunité de pitcher leur prochaine création dans l’espoir d’attirer financements, dates de résidences ou encore de programmation. L’exercice – délicat – fut mené avec brio et semble avoir suscité l’intérêt des professionnel.les présent.es sur le Focus. A suivre.

Dingo (again)

Douze ans déjà que Jill Crovisier, danseuse, chorégraphe, vidéaste et conceptrice sonore, dirige JC movement production, une structure dédiée à l’exploration artistique et à l’innovation culturelle. Formée au Conservatoire d’Esch-sur-Alzette, elle a poursuivi sa formation à travers le monde, de la Chine à l’Indonésie, en passant par les États-Unis et la France. A l’occasion du Focus, elle a présenté une œuvre à venir The Game – Grande Finale, pièce dans la droite lignée de son répertoire qui travaille l’identité, le corps et les récits de vie. Ici, la chorégraphe plonge dans l’univers du jeu. Au plateau, huit interprètes explorent cette thématique omniprésente dans nos vies – des cartes à l’amour, en passant par le sport et le quotidien. Plus qu’une simple compétition, le jeu devient ici un espace de liberté, d’imagination et de chaleur humaine. Ce spectacle invite à repenser notre place dans le monde et à imaginer de nouvelles façons de vivre ensemble. Des trois extraits qui furent dévoilés, dans la fragilité d’un work in progress, se profile une œuvre qui examinerait notre instinct de survie et le besoin impérieux d’exprimer nos histoires et nos liens. Ambiguïté, contraste, plaisir, peur et espoir … The Game semble faire écho, dans ses thématiques, à la proposition de Léa Tirabasso présentée à sa suite. A découvrir à l’occasion de la première le 13 février prochain au Grand Théâtre de la Ville du Luxembourg.

Dingo toujours (à croire que c’est une marque de fabrique dans cet état confetti) : The Great Chevalier, inénarrable proposition de Simone Mousset, chorégraphe dont la France s’est familiarisée avec les pièces The Passion of Andrea et Empire of a faun imaginary. Ici, l’artiste met en scène M. Chevalier, flamboyant directeur artistique du Ballet National Folklorique du Luxembourg, une entité fictive conçue par Simone (occasion pour elle de rendre hommage à un supposé héritage culturel luxembourgeois qui revisiterait des éléments folkloriques et historiques). Lors de sa performance au Casino Luxembourg, le vénérable M. Chevalier nous a gratifié de l’interprétation de son immense succès international Dauwendanz (danse du pigeon qu’à priori seul le Lichtenstein n’a pas eu la chance d’accueillir sur scène).
Vraie farce, The Great Chevalier est bourré d’humour. On y rit en effet aux éclats jusqu’à ce que le malaise s’installe insidieusement car de la joie d’exécuter une danse participative avec le grand maître, on passe à l’envie irrépressible de quitter la salle lorsque M. Chevalier se révèle bien plus psychopathe qu’étoile issue d’une formation type Grand Ballet du Marquis de Cuevas. Coup de coeur de ce rendez-vous nordique : il vous faut impérativement voir cette création !!!

Le focus nous a également permis de découvrir le travail de William Cardoso (et son duo féminin Baby), de Saeed Hani (et son très homo-sensuel mais quelque peu emprunté The Blind Narcissist) ou encore celui de Clio Van Aerde qui travaille actuellement à son solo Work it – poetic of bodies at workAussi, au terme de quatre intenses journées de focus, on s’interroge. Et si tapi sous ses brumes et la canopée de ses chênes et tilleuls, le Duché était un nouvel eldorado européen de l’art chorégraphique ? firwat net.*

Cédric Chaory
©Bohumil Kostohryz Into the Bushes – Léa Tirabasso

*On danse aussi au Luxembourg
*pourquoi pas