La Vérone de Josette
Pour ce qui est du spectacle dit « jeune public », on en a de deux sortes : les œuvres destinées aux « jeunes » – période de la vie finalement assez étendue, allant de la plus « tendre enfance » à l’ « âge mûr », un laps de temps pouvant en réalité s’étendre indéfiniment, car, comme dit la maxime, « on peut être jeune dans sa tête » – et celles, réalisées ou interprétées par des enfants ou des adolescents. Le Roméo et Juliette de Josette Baïz, découvert à Chaillot dans le cadre de La Belle saison des arts vivants avec l’enfance et la jeunesse, est autorisable aux plus de 18 ans.
Dans la pièce de Shakespeare les amants de Vérone sont âgés de 15-16 ans, comme les danseurs les plus aguerris du groupe Grenade de Mme Baïz. Cet argument qui se voudrait réaliste est retournable dans la mesure où, les gens vivant moitié moins qu’aujourd’hui à la fin du XIVe siècle, on peut dire qu’ils avaient alors plus vite fait d’être adultes, ou qu’ils le devenaient sinon deux fois plus tôt, du moins précocement. Par ailleurs, en matière de spectacle – et nous y sommes, ici, au spectacle, dans une représentation à l’ancienne ou, du moins, à l’italienne – il est inutile de chercher la vraisemblance : Sarah Bernhardt joua bien les pucelles de façon convaincante dans une pièce d’Emile Moreau à l’âge de… 65 ans.
Disons simplement que chez Baïz on ne distingue plus les (plus) jeunes des autres, l’enfance étant mélangée à l’adolescence. On ne différencie plus les amateurs des pros, la porosité dans ce domaine étant d’ailleurs possible. On ne discrimine ou ne « caste » pas suivant des critères physiques. Selon des canons de la beauté dépassés. Malgré la rigueur chorégraphique et le travail que cela suppose, malgré l’énergie déployée du début à la fin de cette suite de danses sans aucun temps mort, on n’y sent ni l’effort fourni par les interprètes (citons-les, ils le méritent : Axelle Anglade, Siatadine Attouwia, Arthur Bergogne, Emma Cappato, Camille Cortez, Blanche de Kerguenec, Louna Delbouys-Roy, Tony Ignacimouttou, Lilou Jouret, Samuel Maarek, Samuel Malerbe, Marissa Maliapin-Chenard, Olivia Mari, Anouk Naura Saccone, Auguste Nganta, Victor Patris de Breuil, Romane Poussardin, Lisa Rapezzi, Rafaël Sauzet, Louis Seignobos, Anna Suraniti, Anthony Velay), ni leur manipulation par la chorégraphe.
Pas de malaise, donc. Pas de chiens ou de singes savants. Une tentation, une tentative réussie, d’aborder le répertoire classique, sur une composition postromantique de Prokofiev, auteur, par ailleurs, d’une des « musiques pour enfants » les plus fameuses, Pierre et le loup, avec un vocabulaire qui est aussi influencé par le ballet blanc d’antan, la recherche d’unisson et de « musicalité » de la danse – la virtuosité et les pointes étant cependant écartées. On danse donc pieds nus, vêtus « casual » (sauf l’héroïne, qui a droit à une minirobe rouge sang rappelant celle de l’élue du Sacre de Pina Bausch), au milieu de paravents tantôt opaques, repoussants, impénétrables, tantôt translucides, diaphanes, lumineux. Pas de forçage, non plus, côté hip-hop, langage que Josette Baïz maîtrise et dont elle use modérément, contrairement à d’autres de ses collègues.
Nous avons assisté à une œuvre chorégraphique digne, valable en soi, avec des passages déjà mémorables, une alternance de duos et de mouvements d’ensemble empêchant toute lassitude, une qualité gestuelle remarquable, des interventions orales impeccables de la part de certains danseurs. Total respect !
Nicolas Villodre (Octobre 2014)
©Didier Philispart