Paysages souterrains sur la voie du sensible
Trio de danseuses et musique pour orchestre de chambre et électronique. Douve est un spectacle conçu par la chorégraphe Tatiana Julien, le compositeur Pedro Garcia-Velasquez et Alexandre Salcède collaborateur littéraire. La pièce en effet, est empreinte d’une lecture et de recherches sur le recueil de poèmes d’Yves Bonnefoy Du mouvement et de l’immobilité de Douve. La jeune chorégraphe a pour habitude de travailler à partir d’œuvre qu’elles soient picturales, comme dans L’extase et la mort, ou littéraires comme ici. On ne s’y trompe pas lorsqu’on traduit le nom de la compagnie C’Interscribo : lire entre les lignes. Tatiana Julien qui n’écrit pas que de la danse, s’appuie sur les mots comme une matière. Tente d’en extraire la sève. Les mots sont traversés par le mouvement. Sa danse se faufile… entre les lignes.
On perçoit bien la puissance que les trois danseuses, portent en elles. Cette rigoureuse vigueur qui les mène. Les fait traverser des zones incertaines, de vagues terrains. Baignés tour à tour de lumière puis plongés dans le noir. Les danseuses naviguent malgré tout. Par de tous petits pas, elles se déplacent le geste sûr, l’équilibre mesuré, puis disparaissent de la même façon pour ne pas tomber, ne pas sombrer dans ce monde chargé d’angoisses. On les sent sur le fil.
Au début de la pièce, les bras sont comme suspendus dans l’air. Les interprètent contiennent chaque pas, chaque impulsion du corps. Les mouvements apparaissent parcimonieusement, tout en retenue. Lorsqu’elles s’approchent et font face au public, la ressemblance avec des nones saute aux yeux. Les visages sont graves. Les robes (vert sombre, bordeaux et bleu foncé) malgré les parties du corps qu’elles laissent apparaître, ressemblent à des tenues sacerdotales.
Plus tard, les chemins sont plus sûrs, plus vifs. Les poings serrés, les robes relevées, la démarche est habile. Les interprètes tiennent le monde à bout de bras. Les jambes s’étirent, invitent au détour ou tentent de s’aventurer dans de tortueux chemins. De furtives contractions alternent avec un relâchement des corps. Le parcours peut être éprouvant. Dans ces moments, se dessine la figure de la chorégraphe Martha Graham.
La musique, elle insuffle une fragilité, une sorte de chaos organisé. Elle impose une pesanteur déjà présente sur les visages fermés des danseuses. Leur danse n’est pourtant jamais écrasante. A la fois, légère et autoritaire, elle avance malgré tout. Elle se fraie un chemin. Et trouve enfin le repos. L’énergie tellurique anime cette danse, jusqu’à l’enfouir à sa source : la terre.
Douve, est une pièce « qui naît du désir de libérer la danse de son langage empruntant les voies de l’écriture, elle-même en chemin pour se libérer des carcans de la pensée conceptuelle ». Pourtant cette volonté de s’éloigner de la pensée conceptuelle tend au contraire à s’y plonger. Tout ce qui participe au sensible, mis à part peut-être la lumière, nous en écarte un peu dans le même temps. Il y a une sorte de froideur qui nous laisse quelque peu hagard, ou pour le moins perplexe, sur le bord… du fossé.
Fanny Brancourt – Atelier de Paris – CDCN / Faits d’Hiver (Février 2013)
©Nina Flore Hernandez