Raptus – François Verret

Compulsions contraires

« Raptus » de la définition psychiatrique : « Impulsion soudaine et violente qui peut conduire un sujet délirant à commettre un crime grave… » Dans son dernier spectacle, François Verret met en scène des formes plastiques, des femmes esseulées, des ombres portées, des images vidéo d’une destruction passée présente ou future mais aussi des mots (certains qu’il prononce d’ailleurs lui-même), des sons. Toute cette matière est palpée, triturée, malaxée, expulsée. A l’image de son précédent spectacle Courts-circuits, le chorégraphe explore toujours un peu plus un monde en déconstruction, détruit par ceux-là mêmes qui le construisent, les hommes. François Verret interroge « cette potentialité destructrice qui nous habite » et peut devenir réalité à chaque instant.

C’est à travers notamment les corps de trois femmes, qu’il nous rend spectateur de ces raptus. Toutes les trois du haut de leurs talons (signe accentué de leur féminité), évoluent parfois les unes à côté des autres, mais jamais dans l’échange les unes avec les autres. C’est impossible. Corps et esprits semblent traverser par des tics, des tocs, des impulsions à première vue anodines mais qui à tout moment peuvent les dépasser et se retourner contre elles. Leurs danses sont à la fois compulsives et emplies de tensions retenues. Des gestes saccadés, répétés, le corps prend la forme d’un raptus, il se décharge alors avec force et énergie. Les interprètes glissent d’une position à l’autre. Victime, bourreau et témoin. La violence s’incarne immédiatement dans l’absence de communication de ces trois femmes. L’autre n’existe pas. Ultime indifférence.

Autant que le mouvement, la voix donne corps à cette irréelle réalité. Celle qui fait de nous ces êtres duels. Réalité capable de faire apparaître une facette de notre personnalité qu’on aimerait éloignée de soi. Une voix jeune, une voix scansion, une voix grave, une voix fatiguée celle de François Verret qui sur scène dans l’ombre, nous fait un état des lieux du monde et notamment de la société du spectacle. Spectateurs consuméristes, comment être un artiste dans ce monde-là ?

Les voix s’expriment en français, mais aussi dans chacune des langues d’origine des danseuses, espagnol pour Marta Izquierdo Munoz, japonais pour Chiharu Mamiya et ouzbek pour Natacha Kouznetsova. Ce mélange des langues multiplie la sensation d’universalité de ces raptus. Ils n’ont pas de frontière, sont inhérents à l’homme. Le raptus peut-être souterrain, visible, provocateur, démesuré, affiché, retenu, caché, latent.

Avec Raptus, François Verret croise les disciplines pour mettre en lumière son propos. La danse entre dans les installations plastiques, lumineuses et sonores et ces dernières entrent dans la danse à leur tour. Malgré cette interpénétration des arts autour de ces visions de raptus, on reste en dehors de l’exposé. Toutes ces matières créent plus une distance au sujet qu’un rapprochement et une envie de s’y confronter. Peut-être est-ce la peur de voir au fond de soi ?

Fanny Brancourt – Parc de La Villette (Avril 2012)

©Enrico Bartolucci