Chambre 10, Compagnie Traction
La chorégraphe Claire Durand-Drouhin, avec la compagnie Traction effectue un travail chorégraphique aussi bien en milieu psychiatrique qu’en milieu carcéral. Elle nous présente ici un extrait de sa pièce La chambre 10. C’est à partir de son expérience en hôpital psychiatrique que Claire Durand-Drouhin nous conte l’histoire d’une jeune femme livrée à elle-même, à sa maladie, à son monde. Elle est entourée d’un médecin, d’un médecin chef qui semble parfois prendre le rôle de patient. Comment la danse peut interroger la folie, le rapport au monde hospitalier ? Qu’est-ce qui se dit des rapports entre malades et médecins, dans un tel environnement ? Sont autant de questions que soulèvent Chambre 10. A la manière d’un enfant sauvage (il faut savoir qu’on a ici un extrait du spectacle qui dure normalement un peu plus d’une heure. Et que toute la partie où la patiente danse avec un gorille n’étant pas incluse, on se demande pourquoi elle possède tous les tics de ce dernier), la patiente (magnifiquement interprétée par Maï Ishiwata) tente d’échapper au monde qu’on lui propose, et d’emmener ceux qui l’entourent dans le sien. Mais la compréhension reste difficile. Les rôles parfois s’échangent et permettent à chacun de basculer entre normalité et folie. Qui est le fou de l’autre ? Où se trouve la normalité ?
Chambre 10 est un spectacle qui touche par son propos, malheureusement dans l’extrait qui nous ait proposé, on a du mal à entrer dans l’univers de la chorégraphe. La musique qui accompagne l’évolution des trois personnages, ne les porte jamais, voir les dessert, notamment le morceau de musique classique au début qui semble d’un autre temps, pas en rapport direct ou contrapuntique avec la scène, où le médecin lave la malade et lui enfile une énorme couche. Il y a aussi ces nombreux portés, entre le médecin et la patiente qui alourdissent les déplacements et la chorégraphie. Ils sont empreints d’un poids ou d’une difficulté qui n’a pas lieu d’être.
Chambre 10 est, il me semble, une pièce intéressante, qui mérite sans aucun doute d’être vue dans son ensemble pour que certaines choses ne restent pas anecdotiques et qu’on puisse entrer complètement dans cet univers, qui ne nous ait pas forcément connu et qui peut de ce fait nous déstabiliser.
Psyché, Compagnie Magalie Lesueur
Avec Psyché, Magali Lesueur, nous entraine dans un univers très différent de celui de La chambre 10. Accompagnée d’un violoniste, Jonathan Guyonnet, (malheureusement pas du tout servi par l’acoustique du lieu). La jeune chorégraphe interprète, pose un regard « sur l’histoire de ce mythe, le combat de la vie avec toutes ses joies, ses émotions, ses souffrances et cruautés. »
Le visage peint en blanc, vêtue d’une combinaison noire, Magali Lesueur interprète ce mythe, par des lignes, des courbes, des jeux de jambes et de mains qui sont sa matière chorégraphique. Elle nous propose une danse ramassée. Rares sont les grands déplacements. On sent dès lors toute cette difficulté d’être au monde avec tous les sentiments qui nous traversent. Pas tout à fait libre. Son personnage est intéressant, mais il se perd parfois dans toute cette matière, qu’elle maîtrise merveilleusement bien. Son rapport avec la musique, reste lointain, alors qu’elle l’envisage comme une spécificité de son langage chorégraphique. On sent les deux interprètes plutôt l’un à côté de l’autre qu’ensemble dans une interaction. Là aussi, comme la pièce précédente, il s’agit d’un extrait. Difficile de réduire une pièce, où évolue auprès d’elle un autre interprète, incarnant Eros, à un temps réduit d’une trentaine de minutes. Le visage peint en blanc ne laisse percevoir aucune émotion, sans doute un choix. Mais le peindre en blanc n’était pas utile. Cette neutralité pouvait être exprimée avec un masque neutre habituel ou encore sans aucun effet, ce qui aurait pu donner encore plus de force à mon sens à son personnage. On appréciera en tout cas, la dextérité de cette danseuse, notamment ce passage en fond de scène, où sur le dos, bras et jambes, éclairés par une lumière chaleureuse, montent et descendent ensemble, séparément, avec vivacité, précision et délicatesse.
Nœuds, Compagnie Adéquate
Un couple. Une histoire entre un homme et une femme. Sujet maintes fois abordé par la danse. Et alors ! Comme écrivait Boris Vian : « Tout a été dit cent fois / Et beaucoup mieux que par moi / Aussi quand j’écris ces vers / C’est que ça m’amuse / C’est que ça m’amuse / C’est que ça m’amuse et je vous chie au nez. » Les chorégraphes et interprètes Lucie Augeai et David Gernez, nous proposent un duo tout en douceur, affirmation, humour, exigence. Nœuds, est bien l’histoire de deux personnes qui progressent l’une à côté de l’autre, sans trop d’échange, pour petit à petit développer une relation qui tient sans nul doute autant de l’amour et de la relation à deux, que de l’individualité à l’intérieur du couple. La danse de ces deux interprètes est à la fois légère et ancrée. On sent cette grande sincérité qu’ils ont d’être seul puis de se retrouver avec délicatesse ou fermeté. Nœuds, dégage une grande fraîcheur quant à sa réflexion sur la relation à l’autre, sur ce qui nous lie et nous en éloigne. Le rapport de force qui peut exister entre deux êtres s’exprime avec finesse, même quand la danse se fait plus puissante et plus chargée. On se projette facilement dans cette histoire parce qu’elle est simple et qu’elle parle de nous. Au début de la pièce, le couple avance face au public, sur une musique de Marin Marais, avec des gestes de bras et de mains propres à chacun d’entre eux. Des gestes minimes, précis, qui petit à petit sont accentués, ou grimacés. Ils se répondent, se coupent la parole, n’arrêtent jamais le mouvement, puis reprennent leur place, avec délicatesse. Cette introduction en dit beaucoup sur la communication et sur cette capacité à s’écouter ou pas, à se disputer, à s’accompagner.
On est séduit par ce duo et ne pouvons qu’attendre avec engouement, leur prochaine création Frater.
Salim, Compagnie Asalto
Grégory Kamoun, danseur que l’on a pu voir chez Raimund Hoghe et Alain Platel, nous propose ici un solo plein de malice et de fulgurances. Accompagné d’un musicien qui joue de sa guitare électrique entre improvisation et bruitage, le chorégraphe use lui de sa voix, des sons qu’il émet avec sa bouche, avec son corps. La musique entre et sort de son corps, le traverse dans le jeu et l’humour. Tour à tour, il donne le la, puis reçoit les sons que le musicien lui envoie. Ce petit jeu de propositions entre le danseur et le musicien pourrait se prolonger sans nul doute. Mais Grégory Kamoun, nous donne à voir (plus qu’à entendre) dans la suite de son solo, un corps « rebond ». De ses déplacements au sol, empreints de hip-hop, de danse contemporaine, et de capoeira, se dégage une fulgurance incroyable. Le corps est complètement en empathie avec le sol, qui le lui rend bien. Bonds et rebonds nous témoignent de l’agilité de ce Salim qui nous regarde amusé parfois étonné, des chemins que prennent son corps. Grégory Kamoun, avec ce solo original, qui est le premier de sa compagnie Asalto, nous incite à le suivre avec intérêt dans son parcours de chorégraphe.
Fanny Brancourt, Le Dansoir Paris (Festival Indisciplines, soirée du 21 avril 2012)
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