Liberté, je danse ton nom
Centre Pompidou, Grande salle. Côté jardin, 3 moutons paissent quelques brins de pailles, le plus jeune donne de la voix, au gré des humeurs. Côté cour, un pianiste (talentueux Aurélien Richard), entouré de 5 danseurs arborant string ou boxer, tous intégralement recouverts d’une peinture flashy.
Le public plonge dans le noir quand le musicien s’active au piano. D’une boîte à chaussures, il tire au sort un mot-valise du type « la joie ». Un danseur investit alors la scène et l’anime d’une gestuelle étonnamment délicate. L’expérience sera réitérée tout au long de la représentation en duo, en groupe ou en solo, au gré de nouveau mot-valise.
François Chaignaud et Cécile Bengolea n’ont jamais été potes avec Panurge. Leurs précédentes œuvres, sulfureuses et iconoclastes à souhait, l’ont démontré à maintes reprises. Avec Danses Libres ils cèdent à la tendance « Répertoire et Patrimoine de la danse contemporaine »… de cette tendance qui fait pulluler les relectures et variations d’œuvres-phares de la danse du 20ème siècle sur toutes les scènes nationales. Les iconoclastes Chaignaud-Bengolea n’ont pas choisi la facilité en choisissant d’exhumer l’œuvre d’un génie inconnu : François Malkovsky (1889-1982) mais leur audace est payante : Danses Libres est une réussite.
Influencée par l’esthétique révolutionnaire d’Isadora Duncan et la recherche d’un idéal de liberté, la danse de Malkovsky s’inspire des figures sculpturales antiques et de son analyse instinctive des mouvements de la nature et des animaux. Vu par le duo, à quoi ressemblent alors ces danses libres ? En s’emparant du corpus gestuel du tchèque, Chaignaud-Bengolea interprètent une danse à l’esthétique quasi-mystique en parfaite harmonie avec la puissante foi qui habitait Monsieur Malkovsky. Brutes et délicates à la fois, invariablement libres et émancipées, les quelques saynètes jouées dans Danses libres sont d’une rare fraîcheur.
Suzanne Bodak, ancienne élève de Malkovsky, se livre dans une vidéo qui clôt la représentation. « Les danses de François sont dures et solides comme la pierre et passent comme le vent » nous dit-elle. Très juste. Le vent, ce soir-là était polaire, ce qui n’a pas empêché le duo de chorégraphes de courir quasi-nus sur le parvis du Centre George Pompidou, bravant le glaçant Moscou-Paris. Les spectateurs, bien au chaud, assistaient à cette performance sur le grand écran érigé sur scène. Une certaine idée de la danse, de la liberté aussi. De la sincérité et de la fraîcheur surtout dans ses Danses libres…
Cédric CHAORY – Centre Georges Pompidou Paris (Février 2012)
©Laurent Paillier