Mardi 22 mai 2018 au Musée de la Danse à Rennes avait lieu « Déplacés, Danser sans frontière » une soirée organisée par l’association Danse à tous les étages.
Qanchiq, Kubra Khademi
Constituée de deux parties, ce fut l’occasion pour les rennais d’assister à une performance d’une artiste Afghane et à la restitution d’un travail au long cours avec des artistes, des habitants de Rennes et des personnes en situation de migration.
Kubra Khademi est une jeune artiste Afghane vivant actuellement à Paris. En Afghanistan puis au Pakistan, elle étudie les beaux arts et crée des performances publiques dénonçant notamment la politique patriarcale imposée par la société Afghane. En 2015, elle défile dans la rue vêtue d’une armure de métal, afin de dénoncer le harcèlement de rue dans son pays. C’est à la suite de cette performance, L’Armure, qu’elle est contrainte de quitter l’Afghanistan. Depuis, réfugiée en France, Kubra Khademi continue d’interroger son éducation, sa condition de femme, mais aussi de femme Afghane et artiste.
Dans la performance Qanchiq, Kubra Khademi est vêtue, par-dessus un pantalon, d’une grande robe noire aux manches longues. Au cou, elle porte un lourd collier de chien auquel est attachée une chaîne métallique, la reliant à un pieu. Pendant près de trente minutes, ses pas balaieront l’espace, le seul que la longueur de la chaîne lui octroie. Qanchiq, performance coup de poing, ne laisse pas de répit au spectateur. Partir ou rester ? Seuls ces deux choix s’offrent à nous. L’acharnement de cette femme pour atteindre l’épuisement voire la mort est impressionnant. Elle n’a de cesse de courir d’un bout à l’autre de l’espace laissé par la tension de chaîne. De sa bouche le souffle devient râle. Un râle de souffrance sans nul doute, un râle de jouissance ? L’ambiguité s’invite. De sa mère lui intimant de « prier incessamment Allah pour que tes voeux pieux soient exaucés », Kubra conversait avec ce dernier et selon l’expression afghane lui disait « je rampe vers toi comme une chienne pour que tu réalises mes rêves. » Kubra Khademi à travers sa performance joue sur ces mots qui n’ont pas le même sens selon qu’on se place en Occident ou en Orient.
Cette polysémie imprime une identité à la femme et lui confère une fonction dont elle peut très vite être prisonnière si ce n’est emprisonnée. C’est bien de cela dont il s’agit de ces identités dans lesquels on est projeté, enfermé. Au delà, de son identité de femme Afghane à l’éducation traditionnelle, Kubra Khademi avec Qanchiq interroge d’autres identités féminines qui sont le plus souvent imprimées par une société patriarcale et machiste. Artiste à suivre.
Le réveil de l’éléphant, Léa Arnaud, Arnaud Stephan, Maëlle De Coux, Gaël Desbois
Pendant près de cinq mois des jeunes en situation de migration, des habitants de Rennes sont venus participer à des ateliers menés par la chorégraphe Léa Arnaud, le metteur en scène Arnaud Stephan, la dessinatrice Maëlle De Coux et le musicien Gaël Desbois. Travail au long cours, ils étaient une cinquantaine à aller et venir selon les disponibilités de chacun. Onze ont eu la possibilité et le désir (sans doute) d’aller jusqu’au bout de ce travail d’exploration artistique. Avec comme idée première de faire se rencontrer des personnes aux origines et parcours divers, mais aussi de créer un lieu de partage et d’écoute autour de la création, Le réveil de l’éléphant propose une approche du mouvement et de la danse à l’image d’une signature personnelle et singulière.
Des mouvements du quotidien naissent alors une rythmique, une dynamique collective dont émergent des soli, des prises de paroles gestuelles, verbales comme autant d’expressions de nos différences et ressemblances. La frontalité souvent de mise est assumée comme l’affirmation d’une présence indiscutable. « Je suis là, nous sommes là », semble dire certains, « et c’est avec nous qu’il faut composer car nous appartenons à une même humanité ». La jeunesse de ces participants (la plupart des garçons) convoque chez le spectateur une empathie fraternelle. Une envie d’accompagner les désirs débordant chez chacun d’entre eux. On perçoit dans les regards autant que dans les corps des participants cette ferveur, cette croyance en un avenir meilleur. Les accompagner d’un regard, d’un sourire, d’une larme, c’est recréer du lien dans des chemins de vie chaotiques où celui-ci a été mis à mal.
Dans un geste collectif, les onze danseurs mettent un soin particulier à retourner le fin duvet sur lequel ils se tiennent debout. Sans jamais se disperser, sans jamais sortir de « cette aire de jeu » (qui pourrait largement symboliser les pirogues sur lesquelles des milliers de personnes tentent l’aventure de l’immigration), ils retournent méticuleusement ce drap radeau de fortune. Du bleu celui-ci devient or. Comme si l’arrivée sur le continent européen présageait d’un apaisement, d’une sérénité retrouvée. Le réveil de l’éléphant, met en avant une jeune humanité sans doute abîmée par des chemins de vie où la survie est la première des luttes. Ce projet a pour mérite de déplacer les lignes de partage et de brouiller les frontières pour mieux s’en affranchir. La danse devient un langage pour dire ou taire les émotions qui nous traversent que l’on soit d’ici ou de là-bas. Un beau moment de partage.
Fanny Brancourt, Musée de la Danse Rennes (Mai 2018)
©Barbara Mai