Foisonnement (in)certain
Alban Richard et L’ensemble Abrupt, ensemble réunissant des artistes aux disciplines diverses, nous propose avec sa dernière création, une soirée chorégraphique, musicale et théâtrale. Pièce gothique, à la dramaturgie exubérante, Et mon cœur a vu à foison, invite le spectateur à un voyage décalé dans sept chambres, aux univers différents avec pour point commun la frénésie, l’exultation, la décadence, la folie, la sorcellerie.
Les interprètes tous masculins, huit danseurs accompagnés de trois musiciens, s’emparent du plateau et traversent sottie, mystère, monologue, sabbat, apocalypse, moralité, incantation. Alban Richard s’appuie pour l’écriture de cette pièce sur des textes de Shakespeare, d’un anonyme du 14ème siècle, de ses propres écrits, des peintres comme Bosch, Brueghel, Dürer et Goya… des films d’Andrzej Zulawski et de Dario Argento, mais aussi des danses ethniques et rituelles. Autant de références, autant de foisonnements. La musique composée par Robin Leduc, comme la danse, participent d’une transe orgiaque. Poussés dans ses excès, entre laideur, folie, stupidité, les corps débordent. Un débordement, finalement assez sobre (comparé aux débordements chorégraphiques vus dernièrement chez Dave Saint-Pierre), et ce malgré l’engagement physique et artistique des danseurs et des musiciens. Chacune des chambres traversées est figurée par une ouverture et fermeture de rideaux sur scène. Ce procédé permettant de changer de chambres devient quelque peu fastidieux, étire le temps et nous coupe des sensations vécues, tant il est récurent. L’univers de Et mon cœur a vu à foison, est riche et prolixe, grâce aux références collectées par Alban Richard, mais aussi grâce aux lumières de Valérie Sigward et aux costumes de Corinne Petitpierre, et pourtant, il ne parvient pas toujours à nous emporter.
Dans chacune des chambres le corps, conduit par ses faiblesses, ses frénésies, poursuit d’étranges chemins qui n’en sont pas moins intéressants, mais dont certains paraissent contrariés ou interrompus avant même d’atteindre leur paroxysme. Ce qui laisse le spectateur quelque peu sur sa faim. Et mon cœur a vu à foison, explore un monde où les hommes exhibent leurs faiblesses, leurs doutes, peuvent incarner une femme, à l’image du théâtre nô japonais, nous donnent à voir une folie expiatoire… mais la magie noire n’agit pas vraiment.
Fanny Brancourt, Théâtre des Abbesses Paris (Février 2014)
©Agathe Poupeney