Que dire du dernier spectacle d’Israël Galvan, qui tente de retracer la persécution et l’extermination des Gitans pendant la seconde guerre mondiale ? Georges Didi-Huberman dans une conversation avec le chorégraphe lui affirme : « Danser le réel, c’est danser l’impossible ». Israël Galvan s’enquiert de cette affirmation. Il semblerait qu’il l’ait faite sienne, notamment pour cette dernière création Le réel/Lo real/The real.
Israël Galvan est incontestablement un danseur remarquable tant par la technique qu’il ne cesse d’approfondir et de développer, que par les propositions et la générosité avec laquelle il se donne. Tout comme, d’ailleurs, les artistes qui l’entourent sur scène. Il y a cette force du collectif très prégnante dans les différentes créations du chorégraphe, même si la plupart du temps il est seul danseur sur le plateau. Pour Le réel/Lo real/The real, Israël Galvan s’est une fois de plus entouré de ses fidèles collaborateurs Pedro G. Romero, Txiki Berraondo et Bobote, mais aussi des groupes Sistema Tango et Proyecto Lorca (tous excellents). Quant à la danse il la partage avec les danseuses Belen Maya et Isabel Bayon, elles aussi étonnantes.
Il aurait été surement plus difficile de montrer les persécutions qu’ont subies les tsiganes sans cette puissance du groupe. L’affirmation de singularités au sein d’une troupe.
Israël Galvan se démène avec vigueur et rigueur pour nous montrer ce dont ce peuple a été victime. Il semble parfois être dépassé. Les chemins vers lesquels il nous « convoie » ne semblent pas toujours justes. Comme si il voulait nous prouver, nous démontrer les faits. Ce qui prend de temps à autre des voies incertaines. Notamment au début du spectacle, où il s’acharne à trouver des postures d’un « flamenco contemporain ? », autour et sur une sorte de vieux piano droit. Il cherche à faire résonner le métal, le bois, à rendre sonore un instrument qui semble complètement décharné. Dès qu’il s’en éloigne, sa danse devient plus juste. Le torse nu, il est lui-même à l’image des corps décharnés, enfermés dans les camps de concentration, desquels la vie s’évanouissait. Chacun de ses mouvements aiguisent ce corps le rend osseux, squelettique, presque désincarné.
Ces premières images, assez dures, évoquent sans conteste le drame du peuple tsigane, mais aussi de toutes les personnes persécutées par le régime nazi durant cette période. Finalement, l’attachement aux Tsiganes et à leur histoire, n’apparaît pas toujours clairement. La présence de différents artistes sur scène concourt à cette idée, mais la danse elle-même du chorégraphe n’est pas toujours percutante. Quand bien même son corps percute insatiablement le sol, les matières avec ou sans chaussures.
L’évocation de ces faits historiques prend corps, à mon sens grâce à différents supports mis en scène. Des extraits de films, celui de Tony Gatlif Canta Gitano sorti en 1982, projetés sur des caisses en bois ; ou encore cette femme très ronde qui de ses doigts nous joue la sensualité, l’humour, et nous déclare en chantant que « Néoclor est l’eau de javel qui lave plus propre », autre clin d’œil publicitaire à l’idéologie purificatrice, « Raid Croix verte est le meilleur produit contre les cafards »… Tous ces éléments sont autant de témoignages de la persécution des Tsiganes régnant à ce moment là. Et qui continue encore aujourd’hui.
Un des survivants raconte dans le film de Tony Gatlif, : « Ce n’était pas une surprise : dans notre souvenir, on nous avait toujours arrêtés, en temps de paix ou en temps de guerre. »
Israël Galvan utilise, comme à son habitude, différentes matières, différents éléments qui sont autant de supports pour la danse et pour l’ambiance sonore. Les poutres métalliques verticales sortes de miradors deviennent une fois à terre, des traverses de chemin de fer sur lesquelles la danse et l’exil s’expriment. La magnifique danseuse Isabel Bayon, incarne cette femme tsigane pleine de fierté et de liberté, elle aussi persécutée, en sabots de bois. Elle est Sublimée par la suite par le personnage de Carmen (incarnée par Belen Maya) qui fut l’objet d’une attirance excessive et malsaine de la part du régime nazi.
Dans Le réel/Lo real/The real, Israël Galvan a sans doute voulu être au plus proche de l’histoire tragique des Tsiganes. Ce qui est louable. Pourtant sur ces une heure cinquante de spectacle, on n’arrive pas toujours à suivre son propos, à le relier à sa danse. Il y a parfois lorsqu’il s’élance sur une grille en fer, ou sur ces traverses métalliques, ou encore lorsqu’il joue avec ses bretelles de pantalon qu’il tord et fait claquer, quelque chose de l’ordre du numéro. Non pas d’un numéro de cirque, mais d’un numéro de danseur flamenco qui n’a de cesse d’élever son art. A juste titre, mais qui à l’intérieur d’une telle proposition de sujet, n’est pas à sa place.
Il est malgré ces différentes retenues, intéressant de voir un tel spectacle ne serait-ce que pour l’engagement de toutes les personnes présentes sur le plateau et pour cette croyance forte en un art vivant, qui serait capable de dire l’indicible. Où l’être ensemble et le faire ensemble serait une réponse immédiate à toutes les formes de mépris, d’humiliation et de violence.
Fanny Brancourt – Théâtre de la Ville Paris (Février 2013)
©Jean-Louis Duzert