Festival Trente Trente

Dédié à la forme courte dans le spectacle vivant, le festival bordelais Trente Trente, orchestré par Jean-Luc Terrade, proposait pour sa 21ème édition 20 œuvres engagées et expérimentales. Umoove en a vu deux : Intervalle de La Cavale et Rapunzel de Mélissa Guez.

 

Intervalle : expérience de perceptions sensorielles

Premier volet d’un triptyque associant des binômes formés d’un musicien et d’un danseur, Intervalles d’Éric Fessenmeyer de la compagnie La Cavale ouvre la soirée du 26 janvier au Glob Théâtre.

Sur un tapis de sol blanc, Éric allongé sur le ventre. Au-dessus de lui plane un mobile en bois composé de trois mâts lumineux découpant l’espace, possible incarnation de rayons de soleil, d’onde de propagation du son, d’un mouvement vif. Dans le studio de répétition du théâtre bordelais, le chorégraphe évolue lentement, dos courbé et jambes impatientes. Seul son souffle perturbe le silence de la pièce alors qu’il exécute une série de gestes robotiques avant qu’il ne soit rejoint par le saxophoniste Yohan Dumas en même temps que le plateau s’illumine. Dès lors le buste du danseur se déploie, s’ouvrant à l’ondulation.

Est-ce là l’amorce d’une relation entre la danse précise d’Éric et de la musique à la fois avant-garde et world de Yohan ? Pas sûr. Car si l’intention du duo Intervalles entend « explorer la relation si particulière que danse et musique entretiennent. », rares sont les occasions pour le public – durant les 25 mn de la performance – de l’éprouver. Ses protagonistes semblent y évoluer en vase clos, ne frottant qu’à de rares occasions leur partition respective, par ailleurs toutes deux agréables à l’œil et à l’oreille (très beau moment musical où Yohan joue uniquement avec le bec de son saxo). Tour à tour le spectateur regarde évoluer le danseur, arrimé à son instrument, puis le musicien. Rarement les deux ensembles si ce n’est lors d’un de leur bref échange physique ou d’une interaction sous la forme d’une course.

Ni concert, ni pièce chorégraphique nous dit-on mais véritable aire de jeux où geste et son se cherchent … sans vraiment se trouver. Prochainement, Intervalle dévoilera ses deux autres opus avec les artistes Lola Potiron (danseuse), Fabrice Favriou (guitariste), Sarasa Molina (danseur) et Nelly Mousset (Contrebassiste). Gageons que le langage vivant recherché, donnant à voir la musique et à entendre la danse trouvera son chemin quand les trois Intervalles seront présentés de façon indépendante mais aussi par deux, par trois dans un même programme.

Raiponce décapée

Le Glob Théâtre c’est deux salles, deux ambiances. A la suite d’Intervalle : Fessenmeyer / Dumas de la compagnie poitevine La Cavale aux chaudes lumières d’une fin d’été, place au solo Rapunzel de la suissesse Mélissa Guex, proposé dans une salle obscure que quelques projecteurs rouges peinent à éclairer.

Enfermée dans son donjon, la Belle attend qu’ « un jour son Prince Charmant, etc. » Elle l’attend visiblement depuis longtemps, suffisamment pour avoir perdu ses cheveux et accumulé des kilos de poussières sur ses haillons. Avec son visage poudré et ses mouvements tordus – gestes staccato, doigts écartés, torsions d’un corps hoquetant – Princesse Mélissa évoque une noirceur saisissante. Elle joue avec son corps qui se déforme et se tend, suscitant des émotions de terreur, renforcées par l’éclairage rouge qui la transforme en un monstre sur le point de libérer l’inconnu. Les pauses ponctuées de silences prolongés créent des moments de respiration, rappelant les silences enchantés avant le début d’une histoire magique.

L’utilisation subtile de la lumière tamisée et des basses vibrantes crée une atmosphère immersive, plongeant le public dans l’illusion d’être enfermé, lui aussi, dans les combles d’un château. Le plateau devient le théâtre où la danseuse, manifestant son impatience, bat des pieds dans une flaque d’eau saumâtre, symbolisant le changement imminent. Le public n’est plus un simple spectateur mais devient complice de la performance, établissant une connexion tacite avec la danseuse dans une configuration quadri-frontale. Avec sa maîtrise exceptionnelle du rythme et de la durée, Rapunzel – 45 minutes chrono – défait le conte allemand de ses oripeaux romantiques, s’en prenant sans concession aux clichés féminins à travers un style trash punk très expressif. La tension monte progressivement, de concert avec les vibrations sourdes des basses, toujours plus fortes, tenant en haleine l’auditoire qui l’encercle.

Puis survient la dernière partie de Rapunzel, pour le moins décontenançant : mimant les cheveux de son héroïne par un long rideau de fils, Mélissa les fait tourner au-dessus d’elle comme si elle préparait sa libération, son envol. Ce passage relativement long au regard de la durée de la pièce, bien moins percutant que ce qui a précédé, en amoindri son impact. Il n’en reste pas moins que le débridé Rapunzel fait son effet. Avec ou sans cheveux.

Cédric Chaory

Rapunzel ©Pierre Planchenault

Également programmé ce soir-là au Marché des Chartrons : O FUTURA E ANCESTRAL – Sine Qua Non Art – (umoove.art) de Sine Qua Non Art