Sandrine Juglair :
DICKLOVE ou la liberté d’être soi
ENTRETIEN – Sandrine Juglair était à l’affiche du festival niortais Panique au Dancing en octobre dernier. Elle y a présenté DICKLOVE, duo explosif qui questionne avec brio nos représentations de la féminité et de la masculinité. Rencontre avec la circassienne.
Une scène de Diktat, votre première création, a créé des réactions passionnées auprès du public qui vous amené à questionner le féminin et le masculin sur DICKLOVE. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Diktat questionnait tout ce que nous mettons en jeu pour plaire à autrui, pour être aimé. Il y avait effectivement une scène où je me transformais en homme. Ce personnage se mouvait au gré de toutes ses possibilités lui permettant d’être aimé du public. Cette scène a suscité énormément de frustrations, de gênes. Limite ce point de crispation est devenu le sujet central de la pièce. Cela m’a énervé (on me demandait si j’étais un homme, comment j’arrivais à me transformer ainsi) mais surtout interpellé : pourquoi on s’attache autant à vouloir identifier en termes de genre la personne en face de soi ? J’ai donc décider de creuser ce sillon.
Dans DICKLOVE vous naviguez entre deux agrès : le mat chinois et une barre de pole dance. Deux salles, deux ambiances en somme …
En termes de physicalité c’est pareil mais l’approche des postures est différente. Après pas besoin d’avoir une gestuelle masculine pour l’un ou féminine pour l’autre. C’est surtout qu’en tant que circassienne, je trouvais intéressant qu’il y ait ces deux agrès. Je conçois que le mat est vraiment genré mais je ne fais aucune différence sur scène. Je joue plutôt de tous leurs codes. J’ai d’ailleurs suivi quelques cours de pole dance, pas vraiment pour en comprendre la technique mais plus pour en parler avec les femmes qui la pratique, avec les professeurs qui l’enseignent. Je voulais comprendre ce qui se jouait pour elles au-delà de la performance physique.
DICKLOVE est-elle une pièce politique ?
Grande question : ce n’est pas à moi de le dire mais je ne peux nier que ce sujet draine des choses de l’ordre du politique. Ce qui est sûr c’est que pour certaines personnes, notamment dans les municipalités, la pièce est rédhibitoire. Les programmateurs de théâtre municipaux, devenus trop souvent les marionnettes des élus, s’entendent très souvent dire : « Tout sauf le genre ».
DICKLOVE est très pluridisciplinaire : danse, chant, cirque, clown, théâtre. Parlez-nous des textes de Paul D Preciado que vous y déclamez.
Mon médium est le cirque mais je n’ai jamais été une puriste. Les écoles qui m’ont formée ont toujours été ouvertes sur d’autres arts : le danse, le théâtre que j’adore pratiquer. Concernant Paul B Preciado, j’aime son écriture presque musicale. Sa terminologie – bien souvent inventée – est très imagée. Il se sert de celle du médical pour la transformer. Et forcément la transformation m’intéresse. Pour le duo DICKLOVE, Lucas Barbier et moi-même avons signé une chanson tirée des propos de Paul.
Vous avez étudié l’art du drag pour cette pièce ?
Tout à fait. Il faut savoir qu’en parallèle de ma compagnie, je suis interprète, notamment pour Julien Fanthou alias Patachtouille de chez Madame Arthur. Je travaille avec lui sur son cabaret La Métamorphose des Pédoncules. Précédemment nous avions collaboré sur un Vif du Sujet lors du Festival d’Avignon (Plastic Platon). Il m’a énormément appris sur l’art du drag. Cet univers me fascine car on y parle de créature, de monstration, d’exagération. Un vocable présent dans l’art clownesque. L’humour me parle tout comme aller chercher dans l’exagération.
Effectivement nous rions assez souvent dans DICKLOVE …
L’humour est indissociable de ma personne, de ma façon de créer. C’est le meilleur biais pour avoir un décalage et faire ressortir des choses beaucoup plus sombres. La frontière entre le rire et le drame est mince, floue et j’aime travailler sur le flou. Car DICKLOVE est une pièce hybride qui navigue entre émotion et humour. C’est ainsi que j’arrive à attraper le public : en les faisant rire mais aussi en les questionnant sur leur souvenir d’enfance, ses failles, ses blessures.
Songez-vous déjà à l’après DICKLOVE ?
Pas vraiment. J’ai la chance que la pièce tourne et je souhaite enprofiter. J’ai bien des idées qui se dessinent et c’est au jeune public que je songe. L’enfance me fascine : j’ai eu une belle enfance et aurais adoré y rester. C’est sans doute pour cela que je joue tous les soirs, comme un enfant en fait. J’ai vraiment envie de créer pour ce public spécifique. On verra …
Propos recueillis par Cédric Chaory.
©Fabien During
Tournée DICKLOVE : 15 et 16 janvier La Louvière (BE) ; 19 et janvier 2024 Gand (BE) ; 24 et 25 janvier Ifs (14) ; 6 et 7 février Montbéliard (25) ; 21 et 22 février St-Barthélemy-d’Anjou (49) ; 15 et 16 mars Amiens (80)