Panique au Dancing, le festival

La possibilité d’une ville

Houellebecq disait donc de la merde quand il affirmait avec sa morgue habituelle : « Niort (est) l’une des villes les plus laides qu’il m’ait été donné de voir » car ce vendredi 29 septembre la capitale des Deux-Sèvres était riante à souhait sous son grand soleil d’été (d’automne). Son donjon et ses rues médiévales, sa halle de marché, sa rivière qui enlace la vaste Scène nationale Moulin du Roc … la ville invite à la balade dans des ruelles et places vivantes. Il est vrai que ces jours s’y déroule un des temps forts de la municipalité : la biennale de danse Panique au Dancing organisée par la chorégraphe Agnès Pelletier. Soit de la danse dedans / dehors ce qui participe grandement à l’animation de la cité.

Duo majeur

C’est dehors que l’on débute la découverte de la programmation audacieuse d’une cinquième édition, avec Fantaisie Minor, duo-commande du CCN de Caen par le chorégraphe en vogue Marco Da Silva Ferreira. Schubert n’a qu’à bien se tenir, le portugais fait souffler sur la dernière pièce signée de l’autrichien un vent frais tout urbain. Soit deux interprètes – faux jumeaux sur scène au profil hip hop – les bouillonnant Chloé Robidoux et Anka Postic – casquettes sur la tête, T-shirts et shorts blancs transparents, lourdes bottes noires, qui s’emparent de la scène comme d’un ring de boxe. Hip hop, dancehall, house … l’œuvre pour piano à quatre mains en voit de toutes les couleurs electro. Les interprètes s’en donnent à cœur joie avec leurs frappes au sol, jeux de jambes et gestes tranchants. Ils ont beau singer la rivalité c’est d’un seul corps qu’ils revigorent une partition schubertiadesques. On retient l’effet de ces pointes sur grosses baskets noires montantes, l’énergie communicative des jeunes interprètes, l’éclatement des frontières des genres. Gracieuse et ancrée dans son époque, cette pièce tout-terrain fait unanimité. Auprès des CM2, des mères de famille affairées mais s’autorisant une pause de 20mn, des retraités accrochés à leurs fauteuils portatifs et jusqu’aux cadre sup’ évadés des stériles open-space de leur banque made in Niort.

Trouble dans le genre

Unanimité aussi pour la bluffante Sandrine Juglair, circassienne qui annonce la couleur dès le titre éloquent de son duo : DICKLOVE. Quant au genre de ce duo, c’est plus trouble. Armée d’une barre de pole dance, d’un mât chinois et de son musicien-acolyte (Lucas Barbier), Sandrine se cherche ou pas. Une fille au masculin, un garçon au féminin… Elle se remémore son enfance où fillette, ses prédispositions physiques lui permettaient de battre tous les mecs de sa classe. Est-ce que ça faisait d’elle un monstre ? C’est ce qui se disait ? Mais ce sont qui les monstres ? et elle qui est-elle ? « Une femme qui se déguise en homme qui se déguise en femme, femme qui ressemble à un homme quand elle s’habille en femme, homme qui se déguise en femme, drag, personnage, une fiction, un clown, un danger, un rêve, ou toi, ou toi, … ». DICKLOVE manie le spectaculaire, le cérébral (les textes de l’essayiste Paul B. Preciado y résonnent fort et en musique), l’humour, l’étrange et toujours fait mouche. La performance fascine, Sandrine Juglair ravit : un geste de hanche, un mouvement de main, un gonflement des épaules et la voilà homme ou à nouveau femme. On ne sait plus trop et somme toute on s’en moque : elle est singulière et vous emporte dans son tour de piste. Quel plaisir de voir dans la salle – et au plus près de l’artiste – collégien et lycéen, butch et minet, maman et mamie applaudir à l’unisson les artistes de cette pièce essentielle qui jamais ne lorgne vers le manifeste idéologique plombant. Lui préférant l’absurde et le clownesque. Bien vu !

Faire son, faire corps

Prévu à l’origine dans le Salon de l’Hôtel de Ville c’est finalement au sein de la plus rock Camji, scène musicale niortaise, que le solo Au-delà vu d’ici de Julie Coutant a trouvé place. Le public vient entourer un dispositif à première vue anodin – une scène en bois – mais qui cache dans ses entrailles tout un dispositif de capteurs sonores. La danseuse, tout en geste délicat, monte sur scène, comme sur la pointe des pieds … mais malgré les précautions le bois craque tout de même. Un peu beaucoup même. Pourquoi une telle amplification des sons ? Et si les mouvements du corps souple de Julie réveillaient le sol ? Si les murs pouvaient parler, que dire de la musique des sols ? Julie sait en tous les cas la leur faire jouer. En faisant corps et mélodie avec le sol, elle subjugue de sa présence un auditoire oreille et œil grands ouverts. Elle orchestre de ses pas, tour à tour vifs ou mesurés, une bande son tellurique inédite. Vu d’ici, de la place du spectateur, la performance sonore séduit, beaucoup. De l’au-delà, certainement aussi.

Revisitons alaoui, flamenco et gavotte

On revisite à tout va en ce samedi ensoleillé (Panique à la météo !) : le Gouâl in Situ de Filipe Lourenço s’attaque à l’alaoui, danse de guerre algérienne ancestrale, initialement réservée aux hommes et ici interprétée par une distribution mixte. Intense, la pièce expose une complexité rythmique, une géométrie dans l’espace et des gestes répétitifs inédits. Si l’on mesure toute la physicalité qu’elle exige de ses interprètes, tout comme leur sens de l’écoute et de la solidarité, on peine à entrer dans la transe de Gouâl. A contrario d’Homo Furens, précédente pièce du chorégraphe qui vous embarquait illico, ici point de tournis vertigineux. A côté de moi, un jeune homme glisse à son amie : « Je dois manquer cruellement de sensibilité artistique pour ne pas entrer dans le délire. » Pourtant ce délire, il le regardera jusqu’à la fin, applaudissant de concert avec la petite foule amassé Place du Temple. Sensible.

Square Henri George Clouzot, changement de latitude mais même température caniculaire. On y célèbre la Bretagne. La compagnie Choari, jeune et prometteuse, iodée comme elle se définit, revisite les joies des fest noz dans TSEF ZON(E), fine observation et retranscription (contemporaine) des pas de danse (ronde, spirale, frappe de pied …) et de la relation entre danseurs dans ces raouts bretons. Ca parle de la rencontre, de notre rapport à l’autre, de l’amusement. C’est frais comme un coup de zef et ça vous emporte au son (final) de la musique de danse de Loened Fall.

Et puis nous avons croisé l’hypnotique procession des mexicains Foco Alaire, découvert la première de Panique Olympique #6 d’Agnès Pelletier, impressionnante fresque chorégraphique réunissant plus de 500 amateur-es. Epique, de poussière et de fureur (panique du public sous des nuages de particules terreuses!), la création fera date … Et enfin, pour clôturer ce festival qui décidément gagne à être connu, nous avons ovationné la dernière de Fantasia performée par le cabaret Flamenco Queer from Barcelone. Au plus près de ce flamenco originel interlope pré-Franco.

Oui c’est sûr : Houellebecq avait tout faux. Ni la plus belle, ni la plus moche, Niort sait se faire désirable quand il s’agit d’aller danser.

Cédric Chaory

©Fabien Buring / DICKLOVE – Sandrine Juglai