Interview Eric Quilleré, ballet de l’Opéra de Bordeaux

Le Ballet de l’Opéra de Bordeaux de retour à La Rochelle

Cela fait un bon paquet d’années que le Ballet de l’Opéra de Bordeaux ne s’est pas produit à La Coursive (Coppélia par Charles Jude) et pourtant Eric Quilleré nous assure que ce théâtre est « une scène qu(’il) affectionne particulièrement ». Il s’y rend souvent en tant que spectateur. A l’occasion de la diffusion de Now and Now en terre rochelaise, le directeur de la danse de l’Opéra de Bordeaux détaille un peu plus ce programme estampillé « école suédoise ».

Now and Now entend célébrer l’école suédoise. Pourquoi dédier un programme à cette école ?

Pourquoi ? Car j’aime beaucoup les univers de Johan Inger et Pontus Lidberg. La fluidité, la qualité du mouvement, l’intelligence des rapports entre musique et danse, le travail scénographique, celui de la lumière … La liste de ce que j’aime dans l’école suédoise est assez conséquente … D’ailleurs peut-on parler d’école ? Il s’agit plus d’un style.

Et puis Johan Inger a travaillé pour le Nederlands Dans Theater et j’ai toujours eu une fascination pour le chorégraphe Jiří Kylián. Je trouve sa direction du NDT tellement exemplaire. J’apprécie aussi beaucoup Sol León ou encore Paul Lightfoot qui ont signé pour cette formation des œuvres sublimes. J’ai fait venir ces deux artistes à l’Opéra de Bordeaux en 2021 et 2023.

Le NDT a su s’entourer de jeunes chorégraphes audacieux. Il est devenu un creuset créatif incontestable pour la danse. Un peu comme cette “école française” qui a su en son temps accueillir les plus talentueux chorégraphes classiques italiens. Je reste persuadé que cette école suédoise qu’incarne Johan et Pontus peut vivifier le Ballet de l’Opéra de Bordeaux.

Ce programme comporte 3 pièces chorégraphiques. La première est signée de Johan Inger que les ballets du monde entier s’arrachent. Que dire de Now and Now qui entre dans le répertoire du Ballet National de Bordeaux ? 

Cela faisait très longtemps que je voulais inviter Johan Inger – tout comme Pontus Lidberg – à Bordeaux mais le Covid a stoppé net ce projet. Ceci dit, j’aime finaliser mes projets et petit à petit nous avons réussi à concrétiser sa venue. Pour cette première collaboration, je souhaitais une pièce d’envergure avec de nombreux danseurs au plateau mais finalement nous avons opté pour un format plus réduit. Now and Now est un duo dramatique signé pour la Gauthier Dance Company (Stuttgart). C’est une entrée en matière pour susciter l’envie des interprètes du Ballet. Il faut savoir créer l’intérêt, la curiosité auprès de son corps de ballet. Ces dernières semaines  avec l’assistant de Johan un atelier a eu lieu, nous avons repris en septembre les vraies répétitions de l’œuvre.

Encore plus récente car créée en 2018 The Shimmering Asphalt du jeune Pontus Lidberg. Comment la troupe a appréhendé cette hypnotique pièce ?

Pontus Lidberg,je l’ai découvert à l’Opéra de Paris. Aurélie Dupont l’invitait alors pour la première fois en 2019 avec l’entrée au répertoire de sa relecture des Noces (créé il y a quelques années pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève). J’aurais vraiment voulu lui commander une création originale mais là encore le Covid a contrarié tous mes plans. Il fut difficile de faire coïncider nos emplois du temps respectifs mais nous y sommes arrivés. Nous avons opté pour le choix d’une pièce existante – The Shimmering Asphalt – créée pour le New-York City Ballet en 2018. Nous avons travaillé deux semaines avec lui et son assistante puis prochainement à nouveau. La compagnie a pu se faire une idée de son style, et lui une idée de notre formation. Shimmering est un ballet sur pointe. J’aime l’idée de défendre ce langage aussi.

Jerome Robbins est l’intrus yankee de ce programme. Pourquoi avoir intégré In the Night dans cette soirée ?

Ok nous avons intitulé ce programme “école suédoise” mais je ne souhaite pas le réduire à ce seul univers. Si Jerome Robbins y apparaît ce n’est pas non plus innocent. Outre le clin d’œil au New-York City Ballet, je voulais surtout souligner les filiations qui s’opèrent dans la danse classique. Robbins a su la renouveler en navigant du néo-classique au musical. Il a apporté du sang neuf. Balanchine a permis l’éclosion d’un Forsythe, Van Manen celle d’un Jiri Kylian … Je pense vraiment que Jerome Robbins a lui aussi participé à l’arrivée de cette génération de chorégraphes suédois ultra-créatifs. Grâce à lui, ces talents amènent la danse classique vers d’autres horizons.

Le Ballet national de Bordeaux a fait sensation en 2022 avec la création d’Angelin Preljocaj Mythologies. Quel souvenir gardez-vous de cette belle collaboration ?

Lors de mon arrivée à Bordeaux en 2017, j’ai souhaité mettre en place des partenariats entre les différents ballets qui cartographient la France, notamment avec celui d’Angelin Preljocaj. Avant que naisse Mythologies, Angelin était venu à plusieurs reprises à l’Opéra de Bordeaux. Il a appris au fil des ans à connaître la maison. Je trouve cela très important de connaître les arcanes d’une maison car, en tant que maître de ballet, j’ai parfois été frustré du manque de temps, de partage et de rencontre que je pouvais avoir avec les compagnies et les directions.

Pour Angelin, je voulais vraiment une inclusion totale. C’est après que nous est venue l’idée de mêler nos compagnies respectives. 10 danseurs du ballet bordelais, 10 danseurs du ballet aixois … Cela a donné lieu à de belles rencontres, des amitiés se sont construites. Pour moi Mythologies est une expérience humaine unique. Je pense qu’une bonne partie des interprètes bordelais ont apprécié partir en tournée. Nous avons eu 32 dates pour cette pièce. Nous ne sommes pas habitués à être autant sur la route !

Pour moi la prochaine étape est que la prochaine distribution de Mythologies soit intégralement bordelaise. Nous sommes 35 interprètes et seuls 10 furent retenus lors de la distribution originelle. Je voudrais que chacun puisse appréhender la grammaire de Monsieur Prejlocaj.

Un autre temps fort à nous conseiller sur la saison à venir ?

Je pense qu’un des temps forts de la saison à venir va être le ballet romantique Giselle scénographié par Matali Crasset, l’une des figures les plus singulières du design actuel. Elle va offrir à cette histoire éternelle un cadre nouveau et je la sais très concentrée sur le projet. Elle s’y donne à fond. Je suis très curieux de découvrir la confrontation de ce classique à une scénographie avant-gardiste. Ce sera un moment fort pour le ballet, pour le public.

Et vous, 6 ans déjà que vous êtes à Bordeaux après avoir traversé de nombreuses autres directions de Ballet. Que dire de celle de la capitale de la Nouvelle-Aquitaine ?

Je dirais que je suis assez fier de mon parcours. Fier car je n’aurai jamais cru qu’être danseur m’amènerait aussi loin. Bien sûr tout a été question d’opportunités, de rencontres heureuses, de travail également… mais quand je regarde en arrière que de chemins parcourus !

Concernant le Ballet de l’Opéra de Bordeaux, je suis particulièrement heureux de voir que les divers corps de ballets français tissent avec nous et ensemble un peu plus de liens. Notre ballet travaille de concert avec celui de Thierry Malandain, Bruno Bouché, d’Angelin, de l’Opéra de Paris et prochainement celui de Cédric Andrieux à Lyon. C’est important que nous nous regardions, que nous nous épaulions. Qu’une transversalité bienveillante se mette en place. 

Durant ces 6 dernières années, j’ai traversé les nombreuses crises de l’Opéra de Bordeaux : le Covid, les changements de direction, les restrictions budgétaires … Fort heureusement le ballet a toujours été soutenu par Marc Minkowski et désormais Emmanuel Hondré. Malgré les crises, le ballet n’a jamais perdu de programmes et j’ai toujours été entendu sur mes envies d’ouverture. J’aspire aujourd’hui, tout comme les danseurs et danseuses, à travailler dans une relative sérénité. Pour nous concentrer uniquement sur la danse… car c’est ce qui nous anime au quotidien.

Propos recueillis par Cédric Chaory

©Julien Benhamou – Now and Now – In the Night

« Ces dernières saisons, le public de La Coursive a découvert et particulièrement apprécié l’univers chorégraphique de Johan Inger à travers deux pièces très différentes mais très enthousiasmantes : « Carmen », interprétée par les magnifiques danseuses et danseurs de la Compagnie nationale de danse d’Espagne, et plus près de nous en mai dernier « Golden days », portée par l’excellente compagnie italienne Aterballetto, elle aussi ballet national. Ces deux créations mettent en lumière la synthèse talentueuse que Johan Inger sait faire de la grammaire technique classique et de son écriture dramaturgique plus contemporaine. Elles soulignent aussi son approche créative des rapports entre danse et musique, danse et théâtralité. Cette proposition de soirée dédiée à « l’école suédoise » faite par Eric Quilleré était tout à la fois l’occasion rêvée de renouer avec le ballet de l’Opéra de Bordeaux que nous sommes heureux d’accueillir à nouveau, de poursuivre notre exploration du répertoire de Johan Inger et d’élargir la curiosité du public rochelais au travail de Pontus Lidberg, qui le mérite tout autant. » Franck Becker – directeur de La Coursive, scène nationale La Rochelle