Rencontre avec le collectif Bilaka, espace de création implanté à Bayonne qui réunit des danseurs et musiciens basques. D’ex jeunes amateurs, Bilaka n’a cessé de grandir et d’évoluer comme compagnie, passant par la professionnalisation pour imposer, au Pays basque et ailleurs, un univers chorégraphique et musical unique.
Vous êtes un jeune collectif qui allie danseurs et musiciens traditionnels du Pays Basque. Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce collectif singulier ?
Oui, nous sommes un jeune collectif, car la structuration actuelle en compagnie professionnelle est relativement récente. Par contre, l’une des singularités de cette structuration est qu’elle est issue d’une réflexion d’une dizaine d’années autour de la danse basque. Celle-ci questionne la manière avec laquelle nous pouvions créer une synergie pérenne autour d’une équipe artistique de danseurs et musiciens traditionnelles basques. Cela a donné lieu à tout un processus auquel ont contribué de nombreux danseurs et musiciens du territoire et dont un bon nombre gravite encore aujourd’hui autour et au sein du collectif. La structuration en collectif avec une direction partagée est donc le fruit de ce cheminement. Il faudrait ajouter que le collectif est un modèle que l’on retrouve beaucoup dans les cultures populaires du fait qu’elle permette de fédérer un nombre conséquent de danseurs, musiciens et autres artistes autour d’une même vision. Il est à noter que la présence des musiciens jouant en direct est l’une des particularités des danses traditionnelles et que Bilaka défend cette cohabitation sur scène mais également dans la vie du collectif.
Outre la création de pièces chorégraphiques à partir du patrimoine immatériel basque, vous oeuvrez à la mise en place de rendez-vous populaires et de bals traditionnels basque. Pourquoi développer cet axe dans votre travail ?
La représentation scénique de notre culture n’a de sens que si son expression se retrouve sur les différentes places de manière participative. Nous avons la chance que la danse ait une place privilégiée dans la société basque et qu’il y a beaucoup d’occasions pour que les danseurs se retrouvent. En plus de cela, le répertoire est très riche et divers et puise dans une mémoire collective vivante et présente dans les différentes générations. Il nous paraît indispensable d’être dans une dynamique d’activation de ces pratiques populaires tant elles sont libératrices et tant elles apportent de l’émancipation. Notre place en tant qu’artiste est de créer du liant et en les couplant à des formes artistiques. Dans notre projet, cela se traduit notamment par le format de bal du collectif du nom de Bilabal qui donne lieu à des moments de partage intenses ainsi que des scènes de liesse qui sont souvent imprévisibles. C’est une réelle relation de partage qui s’instaure entre danseurs et musiciens.
Il faut noter que la danse et la musique étant des langages universels, nous avons régulièrement l’occasion de nous exporter dans de nombreuses scènes en dehors du pays basque et ainsi échanger et faire danser des danseurs de divers horizons sur nos répertoires.
Vous avez une belle ambition : celle de contribuer au développement d’un cursus d’études supérieures en danse basque. Où en est ce projet ?
Oui, de manière générale, nous portons beaucoup d’intérêt à la transmission. Il faut savoir que dans nos villes et villages, il y a des centaines de bénévoles qui, au sein de groupes de danses basques transmettent chaque semaine à des jeunes générations tout un répertoire. Ces mêmes associations sont liées à des fédérations réparties sur les différentes provinces et de nombreux moments d’échanges sont organisés pour que ces jeunes générations se retrouvent pour danser ensemble. Il existe un prolongement de ses enseignements avec un module au Conservatoire Maurice Ravel Pays Basque qui, avec la Fédération de Danse Basque, l’Institut Culturel Basque et la contribution de Bilaka permet aux danseurs les plus motivés d’approfondir leur technique chaque mercredi après-midi. Le collectif Bilaka provenant de ces dynamiques associatives, il nous paraît essentiel de garder un lien fort avec ces générations que nous retrouvons également dans les spectacles.
Vous dîtes : « Les danses et musiques basques sont par essence contemporaines. Puisqu’elles sont vivantes et vécues. » Récemment le chorégraphe angloys Martin Harriague a signé pour votre collectif Gernika, virage dans votre répertoire. Comment avez-vous appréhendé cette collaboration ? L’incursion de son geste chorégraphique dans votre univers ?
Nous considérons effectivement que les cultures traditionnelles sont en constante connexion avec le monde qui les entoure. Elles sont des vecteurs d’échanges, et la vivacité de leur pratique dans notre monde contemporain est le témoin de l’attrait qu’elle suscite et du besoin auquel elles répondent. Martin Harriague est un chorégraphe qui a toujours porté de l’intérêt pour la culture qui l’a vu grandir ici et, ayant dansé pendant plusieurs années au sein de la compagnie du Kibbutz en Israël, avait déjà une expérience dans des pratiques artistiques en lien étroit avec des danses traditionnelles. Il nous a souvent parlé de similitude au niveau de la corporalité et du rebond entre les deux répertoires. De plus, son travail de créateur gravitant, entre autres, autour de thématiques en rapport avec des questions environnementales résonnent avec les questionnements des pièces de Bilaka. Une certaine affinité artistique est dès lors apparue sans trop nous connaître encore.
Il est vrai que Gernika a été un virage dans les pièces de notre répertoire, car même si nous travaillons à partir de notre patrimoine immatériel basque, nous n’avions jamais encore traité un événement historique. La collaboration avec Martin a été très enrichissante. L’incursion de son geste chorégraphique s’est faite de manière assez fluide et naturelle et cela a été le fruit de beaucoup d’échanges. Bilaka travaillant sur le prolongement du geste de la danse basque et le langage de Martin y a donné de magnifiques traductions où il a su très justement trouver une hybridation des styles.
Vraie réussite, Gernika tourne beaucoup en Nouvelle-Aquitaine et dans le Pays Basque. Est-il cependant difficile d’exporter au-delà de ces frontières votre univers très marqué ?
Les dernières productions de Bilaka connaissaient déjà une diffusion en dehors du Pays Basque, notamment sur le territoire de la Nouvelle Aquitaine, mais le rayonnement qu’a rencontré la pièce Gernika également a été plus large. Ce développement est certes dû au succès qu’a rencontré la pièce, mais cela n’aurait pas été possible sans le soutien au niveau de la diffusion qu’a apporté la Scène nationale du Sud Aquitain en qualité de producteur délégué. Cela nous a permis d’élargir les publics touchés jusqu’en Occitanie et plusieurs dates nous attendent en Espagne. La tournée 2023-2024 verra également des représentations dans la région Grand Est de la France comme à Charleville-Mézières, ou en région Provence-Alpes-Côte d’Azur à Mougins.
Au niveau des difficultés qu’il pourrait y avoir à exporter nos formats, je pense qu’en-dehors du fait que nous sommes un certain nombre d’interprètes au plateau lié au fait que nous tenons à avoir des musiciens en direct, nous rencontrons les mêmes contraintes que d’autres ensembles. Il est vrai que notre volonté de faire apparaître la langue basque aurait pu représenter une gêne, mais nous portons une attention toute particulière au fait de laisser des clés de compréhension au public pour que cela soit ressenti plus comme une invitation à la découverte.
Les petites mythologies est le prochain chapitre de Bilaka. Que dire à propos de cette nouvelle création ?
Les petites mythologies est le premier format jeune public du collectif. C’est un format dont le socle imaginaire a été imaginé pendant le confinement. C’est une pièce de Mathieu Vivier. Il met en scène quatre danseurs et un musicien au travers d’une ribambelle de personnages étranges, aussi merveilleux que monstrueux. Le spectacle fut créé la même année que Gernika et nous souhaitions qu’il amène un contraste vis-à-vis de nos autres pièces que ce soit au niveau de la forme et de son rythme puisqu’il se compose d’une série de courtes pièces qui sont jouées dans un espace vide.
Il n’y a pas de peuple sans mythes fondateurs, contes ou légendes, peuplés d’êtres étranges aux pouvoirs surnaturels. Il n’y a pas non plus de civilisation qui n’ait pas d’espoir possible véhiculé par le récit oral. Les petites mythologies puisent dans les récits populaires du Pays Basque pour mettre en scène des personnages qui touchent au fantastique, à l’étrange et au merveilleux et offrent d’entrer dans l’inconscient local du Pays Basque.
Les représentations donnent presque systématiquement lieu à des bords plateaux dans lesquels nous interrogeons les perceptions de chacune et chacun. Souvent les créatures que l’on a invitées rappellent et font la connexion avec d’autres, et beaucoup de valeurs qui nous semblent universelles se transmettent à travers elles. En plus du public du pays basque, nous espérons beaucoup amener ce spectacle au plus grand nombre, car en plus de pouvoir faire le lien avec d’autres mythologies il montre que l’imaginaire est infini.
Après Martin Harriague, imaginez-vous ouvrir votre collectif à d’autres chorégraphes qui pourraient allier leur gestuelle à la vôtre si virtuose et caractéristique ?
Oui, de manière générale, nous valorisons positivement le fait de collaborer avec des artistes qui souhaitent porter un regard sur notre culture. Comme nous l’avons dit auparavant, Bilaka travaille beaucoup autour d’éléments de la nature et pour les prochaines productions, nous ouvrons un cycle autour des rites et mythes du Pays Basque initié par les Petites mythologies. Au niveau des collaborations, la chorégraphie de notre prochaine création Ilauna sera portée par le collectif, et interrogera la longue tradition des “gau beltza”. C’est un rite ancestral célébrant les morts qui a pour vocation d’inverser l’ordinaire, d’accueillir l’assoupissement et le silence de la terre, de se confronter à la nuit dévoratrice du jour. Par contre, pour la pièce suivante, nous travaillerons avec le metteur en scène de la compagnie des petits champs Daniel San Pedro sur un grand format qui portera le nom de Bezperan et qui sera créé pour janvier 2025. Cette fois-ci, le partage avec l’artiste invité se portera plus sous l’angle de la mise en espace et dans l’écriture générale de la pièce. Cette fois, ce sont les rites carnavalesques qui apparaîtront comme source d’inspiration dans l’écriture de cette future pièce.
Votre saison 2023 fut très riche avec une trentaine de dates, quels vont être les temps forts de la saison à venir ?
La saison prochaine sera effectivement très intense. Si la saison passée s’était articulé essentiellement sur la création et diffusion des petites mythologies et la tournée de Gernika, la saison prochaine verra notamment dès la rentrée la création d’Ilauna à l’Espaces Pluriels de Pau le 5 octobre et une tournée qui va suivre dans divers lieux comme la MECA à Bordeaux, ou le CCM de Limoges dans le mois qui suivra. Nous avons également tout un parcours avec le théâtre Olympia d’Arcachon au mois de Novembre avec la diffusion de nos différentes pièces qui font notre répertoire, comme Saioak à Gujan-Mestras, Les petites mythologies au Teich ou encore un bal à Saint-Jean d’Illac. Tout un programme de sensibilisation accompagnera ces spectacles. Dans le cours de la saison, nous serons également à Floirac en février avec le CDCN Manufacture et à l’Opéra de Bordeaux en début Avril. Nos pièces vont également s’exporter à l’international avec le Bilabal en Sardaigne en septembre, la pièce Basaide en Catalogne à la Fira Mediterrània Manresa de Barcelone en octobre ou les différentes dates de Gernika à Huesca et Santander.
Propos recueillis par Cédric Chaory
©Christophe Raynaud de Lage
Plus d’informations sur le collectif : Bilaka Kolektiboa