Interview Maud Vallée

Rencontre avec la jeune garde de la danse contemporaine rochelaise. Aujourd’hui Maud Vallée de la compagnie Chiroptera. Alliée de John Bateman, elle présentera fin juillet sa deuxième création Tout un monde au festival L‘Horizon Fait le Mur à La Laigne (proche La Rochelle).

Peux-tu te présenter ?

J’ai commencé la danse contemporaine dans 2 associations avant d’intégrer le Jeune Ballet Aquitaine de Bordeaux à 14 ans sous la direction de Lucie Madonna et Daniel Agelisas, alors directeur également du CNSMDP. Puis j’ai poursuivi avec le Junior Ballet de La Rochelle où j’ai rencontré John Bateman. A mes 19 ans j’ai débuté ma carrière en tant que professionnelle dans plusieurs compagnies. En 2016, j’ai souhaité développer mes propres projets, John m’a alors proposé de m’associer à sa propre compagnie Chiroptera plutôt que de créer une nouvelle entité. Les conditions de cette collaboration étaient très claires : chacun allait y développer ses propres oeuvres, quand bien même nous avons un rapport à la physicalité très proche.

Dès 2016, j’ai signé ma première création, un duo avec le musicien Wilfried Hildebrandt: Disorder. Je garde un excellent souvenir de notre collaboration sur cette pièce très rock, subaquatique qui travaillait la sensation de noyade, de la suffocation… la recherche de hauteur. Dès cette pièce, j’ai su que toutes les suivantes proposeraient de la musique live.

L’année suivante j’ai eu l’opportunité de partir au Japon pour un travail de commande. A l’origine John devait s’y rendre mais finalement il m’a proposé de le remplacer. Il s’agissait de réaliser une performance pour la SnC Offshot companyLay fut créée au Fukuoka Dance Fringe Festival. Quel défi ce fut pour la jeune chorégraphe que je suis de gérer un tel projet. J’avais la pression du challenge, celle de la langue mais j’ai relevé le défi et au final je ne voulais plus quitter le pays. Pour Tout un monde, j’ai décidé de m’accorder bien plus de temps.

Parlez-nous de Chiroptera, compagnie bi-céphale en quelque sorte ?

Elle le fut un temps oui même si aujourd’hui sa réalité est tout autre. John m’a proposé de reprendre la direction artistique de la compagnie lorsqu’il s’est lancé dans son incroyable tour d’Europe avec une performance (Unlimited, 2017). Ce solo travaillait les limites de la physicalité. Pendant ce temps j’ai pu appréhender un peu la direction d’une compagnie en suivant notamment les conseils avisés de La Fabrique de la danse ou ceux de TEMPO – Formation pour artistes entrepreneurs. Puis au moment de travailler à Tout le monde, j’ai proposé à John de faire partie de la distribution. Je trouvais plaisant d’avoir comme interprète mon ancien mentor. C’est là où John m’a annoncé faire un break avec la danse. Depuis le premier confinement en mars 2020, il a décidé de changer de voie et de se vouer pleinement à sa passion pour le cyclisme. J’ai alors fait appel à des danseuses que je connais bien pour avoir travaillé comme interprète avec elles précédemment. Par la même occasion je me retrouve seule à bord, et bien malgré moi, de Chiroptera … en attendant que John revienne.

Et qu’en est-il de cet trio Tout un monde ?

Au travail musical amorcé dans Disorder, j’ai souhaité ajouter une dimension plastique avec des bâches plastique noires de 3m sur 10. Elles sont très lourdes, font du bruit quand on les manipule, se déchirent aisément … on dirait d’immenses sacs poubelles et je dois dire que ce fut un sacré exercice que de créer avec un tel matériau. J’avais bien tenté avec du carton, des vieux filets de pêche mais ce matériau peu noble m’a tout de suite accrochée. Tout un monde c’est un peu la naissance des monstres souterrains, des Titans qui prendraient forme humaine avant de s’échapper vers un ailleurs. Mais une fois ceci énoncé, je laisse l’imaginaire de chacun projeter ce que bon lui semble sur la pièce. On peut y voir un cauchemar étouffant, une marée noire, une mer de plastique. A ce sujet, je précise que mes matériaux sont systématiquement réutilisés après les répétitions et représentations. La pièce se veut éco-responsable.

Disorder se déroulait dans les abysses, cette nouvelle création, elle, dans les tréfonds de la terre. D’où vous vient cet appel des profondeurs ?Pour tout vous dire, Tout un monde devait à nouveau questionner les abysses mais mon énergie est immanquablement terrienne, très ancrée dans le sol. J’ai alors délaissé l’élément aquatique et ses ondulations pour la terre … tout au moins le sous-terrain.

Comment travaille t-on avec un matériau si envahissant sur scène ?

Nous avons beaucoup travaillé sur la dissimulation, la disparition. Quand les bâches bougent, des pans de chair apparaissent. Je voulais que la pièce prenne tout son temps pour s’installer, se dévoiler. Cela peut parfois donner l’impression d’improvisation mais je peux vous assurer que le travail d’écriture fut laborieux. Les interprètes n’ont pas de marge de manœuvre pour improviser. Que ce soit les lumières, les bâches, ma musique: tout est sous contrôle. Il y a des passages où seule la tête est extraite de la bâche. Comme détachée du reste du corps, cette partie a nécessité un gros travail d’écriture et de précision. 

Sans parler de la manipulation des bâches … J’aime m’imposer des contraintes, elles me font sortir de ma zone de confort, de mes automatismes.

Il est rare d’entendre de l’accordéon sur une pièce de danse contemporaine. Et quel son d’accordéon !!! Parlez-nous de votre musicien.

J’ai eu un vrai coup de coeur pour François Castiello que j’ai découvert à l’occasion d’un concert avec son groupe La La La Napoli, musique de transe napolitaine. Au plateau ils sont 7 musiciens et c’est juste énorme. Quand François est entré sur scène, j’ai été immédiatement charmée. Il fait corps avec son accordéon, respire avec, bouge avec; C’est une vraie performance qu’il donne à voir. J’aime son côté félin. Je l’ai abordé au culot après le concert … moi qui suis tellement timide, je me suis fait violence et n’en suis pas peu fière. Nous nous sommes retrouvés sur un temps de travail et à l’issue de celui-ci il a accepté de me suivre dans l’aventure. Je voulais vraiment un son organique, un peu tzigane, un peu macédonien pour Tout un monde. J’aime cette musique si vivante, parfait contrepoint à la noirceur de la pièce. François n’avait jamais travaillé avec des danseurs et lorsqu’il m’a vu débarqué avec les bâches, il a eu peur d’être lui aussi enseveli par ces étendues de plastique … Il a apprécié composer en même temps que se dessinait le geste. Chercher en même temps que moi, trouver des sons qu’il n’avait encore jamais explorés avec son instrument fut, je l’espère, un plaisir pour lui.

Vous avez créé la pièce à La Maline (ïle de Ré) en février dernier. Travaillez aujourd’hui à la diffusion de cette création .

Je suis aux prémices de ce travail de diffusion de la pièce. En tant que chorégraphe émergente, sans réelle aide et appui pour ce travail, je fais tout toute seule et c’est peu aisé. J’espère cependant convaincre les programmateurs qu’un focus sur François incluant Tout un monde et son concert serait un joli programme. Les premiers retours sur la pièce me font croire qu’elle a touché à plusieurs endroits le public: le long crescendo vers ce que nous appelons la tempête, les possibles interprétations qu’elle offre, la musique de François … Mais plus que les bonnes ou mauvaises critiques, c’est l’expérience vécue avec les artistes et les techniciens qui m’ont émue. Nous nous sommes tombés dans les bras à l’issue de la première. Ce geste vaut plus que tout et me fait croire que j’ai réussi à embarquer mon équipe dans une belle aventure et qu’elle souhaite la poursuivre.

Et l’avenir alors ?

Je suis implanté depuis quelque temps à La Rochelle et apprécie l’élan récent qui se profile avec de jeunes chorégraphes pro-actives : Alice Kinh, Mathilde Bonicel, Clémentine Bart, Alice Ceriani-Maréchal ou encore la cie Lève un peu les bras (Clément Le Disquay et Paul Canastrero)… Nous nous soutenons, nous conseillons, nous savons qu’il y a de la place pour tout le monde et nous nous réjouissons des réussites des unes et des autres. J’aime cette bienveillance. Je travaille aussi dans le Sud Vendée pour une école, en ruralité. Il y a une folle énergie, une curiosité chez ces élèves qui sont assez isolés, loin des centres névralgiques culturels. Ils me nourrissent, m’insufflent tellement de bonheur. Ceci dit, je ne suis attaché à aucun territoire quand bien même j’ai tissé au fil des ans et par mes actions, un joli réseau. J’aime la découverte, l’aventure … J’irai où mon art me porte.

Propos recueillis par Cédric Chaory / ©Stéphane Robin

Toutes les infos et la programmation ici : Festival L’Horizon fait le mur (l-horizon.fr)