Performeureuses – Hortense Belhôte

"La performance est l'art de ne pas devenir fou dans un monde qui l'est."

La nouvelle conférence spectaculaire de l’intarissable Hortense Belhôte se propose de revisiter l’histoire de la performance en danse contemporaine en l’inscrivant dans une histoire mondiale, en dehors des institutions culturelles, pour mieux souligner les origines diverses des pratiques performatives qui ont marqué le 20ème siècle. Performeureuses est à la fois érudit, hilarant et spectaculaire. A l’issue de la représentation qui s’est déroulée à La Manufacture – CDCN La Rochelle, était organisé un bord plateau. Retranscription des propos entre le public (enthousiaste) et Miss Belhôte.

J’ai beaucoup apprécié le fait que vous tissiez tous ces liens entre le fameux tableau de Botticelli et ces nombreuses références aux performances des deux derniers siècles que vous égrenez… Comment vous est venue l’idée de lier peinture et danse ?

Ce mariage un peu bizarre entre art classique et danse est la problématique que je me suis posée avec cette commande … et qui fait aussi écho avec ma propre histoire: comment, moi historienne de l’art, je me suis retrouvée à être embauchée pour une performance de Mark Tompkins alors que je n’avais pris aucun cours de danse de ma vie ?

Et puis il y a eu la découverte de ce bouquin d’Aby Warburg, référence en tant qu’historien de l’art classique. J’ai été très étonnée d’apprendre qu’il est le résultat d’un deal entre lui et ses médecins: lui a été demandé, pour qu’il puisse sortir de l’asile où il était soigné, de prouver sa guérison et clairvoyance – via la rédaction d’ une conférence d’histoire de l’art. Il a alors décidé de s’emparer d’un sujet sur la danse, d’écrire sur le rituel des serpents en pays pueblo. Sujet dont il ne connaissait rien. J’y ai vu un écho avec ma commande …

Je me suis inspirée du coup de Warburg, notamment avec ce principe de classement de références à partir des diverses postures du Printemps de Botticelli. Il faut savoir qu’Aby, une fois sorti de l’hôpital, est resté enfermé dans sa chambre et a passé son temps à associer des images par ressemblance. C’est singulier mais c’est une méthode assez proche de ce que les algorithmes d’internet exécutent, ainsi que nos réseaux sociaux. Nous-même associons beaucoup les images dans notre cerveau, dans des moodboard. Lui, dès 1920, il avait cette manie d’associer, de lier des idées par l’image. C’est une manière et sensibilité nouvelles d’envisager la compréhension du monde et notre rapport entre les formes.

Quel sens donnez-vous à la notion de performance ?

Moi, je serai curieuse de savoir comment vous public, à l’issue de cette pièce, vous définissez la performance. Voici ce que serait ma définition : l’art de ne pas devenir fou dans un monde qui l’est. Et le fait aussi que ce soit un art extrêmement contextuel. C’est pour cela que je joue énormément là-dessus dans Performeureuses. Je dis « c’est une cantatrice grecque », « une chanteuse égyptienne » », « un historien de l’art du début du siècle ». Où tu te situes et à quel moment c’est ce qui va faire du sens à ce qui se passe… Je montre peu de vidéos dans cette pièce parce qu’avec ces captations apparaît ce principe de traces de performances qui ont été montrées à une date donnée, dans un contexte précis. Toutes ces traces signifient quelque chose dans ce contexte, ont un impact mais moi j’aime cette idée que, comme le printemps du tableau, une performance est éphémère, non reproductible …

Je n’ai pas fait d’étude en histoire de la danse contemporaine, je ne connais cette histoire qu’ à travers mes amis. Ma petite thèse, c’est que la performance s’est constituée en tant que discipline en masquant ses sources. Ces sources inavouées seraient les théâtralités extra-occidentales redécouvertes à l’occasion de la décolonisation ou encore l’art populaire et vulgaire du siècle dernier et qu’en fait en les remettant à chaque fois dans leur contexte, il y a la question de la domination qui ressurgit. Et qui est questionnée, dénoncée.

Vos études, votre parcours en tant qu’historienne de l’art vous ont ils nourris pour la conception de cette pièce ?

Alors pour le coup mes études concernaient la théorie de l’art en France au 17ème siècle … J’aime autant vous dire que la question de l’appropriation culturelle ne se posait pas vraiment. Mes profs étaient royalistes donc … (rires du public).

Pour cette performance-là, je me suis plutôt fait la porte-parole des danseurs que j’ai interrogés; je n’ai jamais eu de cours universitaire d’histoire de la danse contemporaine donc finalement je n’avais rien à déboulonner. Les danseurs que j’ai interviewés sont français ou étrangers et ont en commun d’avoir fait leurs études en France dans les plus grosses institutions canoniques de la danse contemporaine : E.X.E.R.C.E à Montpellier ou le CNDC d’Angers. Tous ont témoigné d’une souffrance dans leur apprentissage. C’est après leurs études qui sont allées chercher d’autres chemins pour essayer de reconstruire ce qui leur avait manqué dans leur cursus. Aujourd’hui, à travers leur performance, il tente de recréer une filiation dont ils se sont sentis un peu dépossédé-es durant leur formation.

Avez- vous essayé de faire un workshop où chacun/chacune pourraient s’essayer à faire une fresque comme Aby ?

En fait quand je fais des workshops mais aussi en tant que prof d’histoire de l’art, je demande à mes élèves de faire des moodboard pour exprimer leur univers créatif, leur humeur. Je leur demande d’y inclure une musique, un livre, une peinture, etc. Le faire par image cela fait moins peur. J’utilise tout le temps le vidéo-projecteur. J’aime questionner et éprouver ce que cela fait de projeter, sur une même échelle de valeur, une photo perso, une œuvre d’art et une phrase dans un même patchwork.

Utilisez-vous le langage inclusif au quotidien ou est-ce juste pour le titre ?

Malheureusement non. Il y a des moments dans la pièce où je l’utilise, d’autres fois non. Ce n’est pas systématisé parce que je n’ai pas encore ce réflexe. Mais cela va venir. « Performeureuse », j’aime cette formule. Je l’ai emprunté à la drag queen MissManlyB. Une spectatrice l’a décliné récemment en chomeureuse … Pourquoi pas ?

Vous citez à 2-3 reprises des plasticiennes dont Ana Mendieta ou celles issues de la scène de Kinshasa mais c’est assez peu au regard des performeurs et chorégraphes ?

Effectivement mais j’ai dû limiter mon champ de recherche à la danse contemporaine, à la performance. Sinon quoi je me serai vraiment perdue. Il y a dans Performeureuses de rares incursions de rares références à l’art plastique car ces artistes m’ont été cités par les danseurs que j’ai interviewés. C’est aussi car dans les arts plastiques, le chemin est d’aller de l’objet ou de l’installation vers le corps. Le corps rentre dans le champ de l’art. Or pour les danseurs le chemin est inverse : le corps est leur médium et l’intérêt de leur performance est : comment ils vont le déplacer en utilisant des objets ou des trucs chelous.

Vous avez choisi de ne plus enseigner l’histoire de l’art ?

Le statut d’intermittent du spectacle est tout de même plus avantageux que celui de professeur pour vous répondre très basiquement. En fait je suis titulaire d’un Master 2 donc je ne peux pas enseigner à la fac car je n’ai pas de thèse et il n’existe pas de CAPES. Donc je suis assez limitée dans mon enseignement (écoles privés supérieures d’art appliqués) avec mon statut d’auto-entrepreneur … entrepreneuse dirais-je … là c’est moche ce mot, non ?

Être à la fois sur scène et professeur en terme d’agenda c’est assez compliqué, il m’a donc fallu faire un choix assez rapidement. Ceci dit mes workshops mixent les deux assez aisément. Je pense aux élèves de la Licence d’art plastique à Rennes avec qui j’ai passé une semaine entre enseignement et performance. C’est là d’ailleurs que j’ai trouvé la voix de mon Homer Simpson !

Etes-vous accompagnée pour la mise en scène de cette performance ?

Pour cette création non. Marcela Santander a eu un regard extérieur assez brièvement mais d’habitude j’essaye de m’entourer pour la mise en scène. J’étais tellement à la bourre que la lors de la première, personne de mon entourage n’avait encore vu Performeureuses. Pour tout dire c’est un peu vert mais au fil des représentations la pièce s’est affirmée. Je l’ai créée il y a un an, jouée quinze fois et … ça commence à être bien. Je me souviens m’être filmée tout seule avec mon portable il n’y a pas très longtemps, juste pour me voir, et là j’ai pris conscience des améliorations à apporter.

Propos retranscrits par Cédric Chaory. Bord Plateau La Manufacture – CDCN La Rochelle le 28 mars 2023

©Fernanda Afnerx