Mathias Rassin

Top rock référence

Son blaze est B-Boy Thias. Il est aujourd’hui reconnu pour sa perception de la musique, son originalité, sa créativité et son énergie contagieuse et c’est le référent du top rock. Portrait de Mathias Rassin, chorégraphe-interprète et pédagogue qui entend bien mettre en lumière la culture hip hop via le breakdance.

Janvier 1984, TF1 lance un programme précurseur, en préambule de sa série-phare Starsky et Hutch : H.I.P H.O.P. Cette première émission au monde consacrée à la culture hip hop – et la première française à être animée par un présentateur Noir – fait le bonheur des téléspectateurs qui découvrent une culture urbaine rafraîchissante, riche de musique, de danse et de graffiti hauts en couleurs.

Devant son écran, Mathias Rassin, 9 ans, a une révélation. Depuis quelques mois déjà, il passe son temps libre à danser avec ses grands cousins de Seine-Saint-Denis et de Seine-et-Marne. Le petit Mathias se débrouille bien à ce jeu, lui qui depuis sa plus tendre enfance se meut sur les rythmes caribéens de sa natale Martinique. En 84, il a 5 ans lorsqu’il a quitté son île et clairement l’intégration dans le froid Hexagone n’est pas aisée. La danse est alors une soupape en même temps qu’un rempart aux mauvaises tentations des cités franciliennes. « Du plus loin que je me souvienne je baigne dans la danse. Mon père pratiquait les chants créoles, jouait du tambour. Ma mère, elle, s’illustrait dans la danse traditionnelle caraïbéenne. J’ai toujours dansé en toute insouciance et inconscience. Naturellement. Quand j’ai annoncé à mes parents que je souhaitais vivre de la danse, ils ne m’ont pas vraiment encouragé mais il faut reconnaître qu’ils sont largement à l’origine de cette vocation. » se remémore Mathias.

L’envie d’être danseur professionnel survient à ses 18 ans. Depuis les premiers émois ressentis devant les images de l’émission de Sidney, Mathias n’a cessé de se former aux diverses stylistiques des danses hip hop, aux côtés notamment de grands noms de la street : Bryan Foot Work Green, Storm, Jazzy J le locker… Sa préférence à lui sera le break.

A 23 ans le voilà fin prêt pour embrasser une carrière de danseur professionnel. Il s’illustre alors au sein de Pampe Dance Company et de Quality Street. Aussi à l’aise dans des show TV tels que le célèbre MTV Dance Crew qu’en battles (il remporte des prix à foison avec le crew Fantastik Armada), il sait endosser le costume  de pédagogue au sein du très institutionnel Centre National de la danse Contemporaine d’Angers période Régis Obadia (il y sera le premier artiste hip hop avec Storm à donner des master class pour les cours académiques). Mais Mathias sent que cette profusion d’activités ne correspond plus à ses attentes. Il s’explique : « Plus j’avais un nom dans le milieu, plus je m’y sentais à l’étroit. Assez rapidement je me suis rendu compte que je ne me contenterais pas danser derrière un artiste, de faire des émissions TV comme « Attention à la marche » ou celles de Patrick Sébastien. Certains danseurs peuvent s’y épanouir, moi ça m’a vite asphyxié car j’y ai pris conscience de la place misérable des danseurs dans ce système. Je me suis alors dit « Mais qu’est-ce que je fais dans cette merde ?» … et puis j’ai fait un burn-out. »

A partir de 2006, remis sur pied, Mathias décide de réorienter sa carrière. Redorer le blason des danses hip hop, tel sera son credo. Mais pas n’importe quelle danse : lui c’est le top rock qui l’anime. « Je viens du breakdance. On connaît ce style pour ses figures au sol, ses acrobaties mais moi je suis bien plus intéressé par la partie dansée qui précède le sol. C’est au contact de Storm que j’ai pris conscience du potentiel créatif du top rock. Ensemble nous travaillions à un ouvrage dans le but de (re)définir toutes les différentes stylistiques que constituent les danses hip hop. C’était un vrai travail de fond : sur le mouvement, sur l’étymologie … Concernant la partie break, Storm m’a alors appris que tout part du top rock. Ça m’a interpellé : à partir de là j’ai creusé le sillon. » précise-t-il.

Le chorégraphe s’investit à un tel niveau qu’il devient vite LE référent mondial du top rock. Les Américains eux-mêmes sont intrigués par ses recherches : « Ils ne comprenaient pas comment moi, frenchy, j’avais digéré ce style US quelque peu oublié, comment je l’avais réhabilité car avant moi le top rock n’était pas considéré. Cette partie dansée n’était rien au regard des acrobaties et parties au sol qui lui succédaient. Je crois sincèrement que ces recherches m’ont vraiment permis de me révéler en tant qu’artiste-chorégraphe. »

Aujourd’hui Mathias est incontournable : après de belles années comme référent pédagogique pour le CCN de La Rochelle sous la direction de Kader Attou, il s’illustre depuis 2014 dans les pièces d’Amala Dianor (dernièrement Point Zéro), coache les meilleurs danseurs et danseuses dont certains se préparent aux Jeux Olympiques de 2024 (la discipline s’apprête à y faire son entrée pour la première fois), participe à l’écriture Pratiquer et enseigner la danse hip hop d’Odile Cougoule*. Mais il est un projet qui lui tient particulièrement à cœur : le diplôme d’État de professeur en danses hip-hop, encore à l’étude par le ministère de la Culture. « Je fais partie de cette équipe qui a mis sur pied ON2H – organisation nationale de hip hop – qui s’engage à identifier les problématiques et enjeux des danses hip hop afin de construire, avec l’ensemble des acteurs de cette culture, ainsi que les partenaires publics et privés, des actions assurant la transmission, le développement et la sécurisation de la pratique de tous, bénévoles ou professionnels, passionnés ou activistes tout en rationalisant l’usage des finances publiques. Depuis 4 ans nous sommes en discussion avec le ministère de la culture pour la structuration du DE Hip Hop. Pour aussi réunir ses partisans et ses non partisans. La transmission, la sauvegarde de la culture hip hop, à l’heure où le sport via les JO pourrait se l’accaparer est essentiel. C’est un de mes combats ! »

Installé à La Rochelle depuis 2017, Mathias, jamais à court d’une activité, espère y développer sa propre structure. « Je me suis émancipé de l’Ile-de-France où j’avais mon association. J’y tournais en rond, La Rochelle m’offre un véritable nouvel élan. C’est ici que je veux continuer à chorégraphier, enseigner et poursuivre ma recherche sur le top rock. ».

Cédric Chaory 

©Brigitte Maya Denis

*Pratiquer et enseigner la danse hip-hop | Centre national de la danse (cnd.fr)