« Corps engagés » à La Rochelle

Dans le cadre de la Saison de l’Institut des Afriques du premier semestre 2023 déployée dans plusieurs grandes villes de Nouvelle-Aquitaine et à occasion de l’invitation en Nouvelle-Aquitaine de Salamata Kobré, danseuse-chorégraphe, lauréate du programme Engagement féminin, la Cie Auguste-Bienvenue, l’Institut des Afriques et Café Blanc s’associent pour organiser un week-end dédié à la danse contemporaine des Afriques à La Rochelle intitulé Corps engagés. Interview des acteurs principaux de cet évènement qui se déroulera les 17 et 18 mars au CCN de La Rochelle.

Auguste/Bienvenue, quelle est la genèse de votre programme Engagement féminin au Burkina-Faso. Sur quels constats repose -il ?

C’est en 2008 que le programme Engagement Féminin a vu le jour. Aujourd’hui encore il reste un rendez-vous important pour les danseuses du continent. Ce programme, qui vise à contribuer, à corriger la faible présence des artistes chorégraphiques féminines sur le continent africain, a permis à plus d’une centaine de femmes de 15 pays du continent africain de se former, de s’informer et de s’outiller auprès de formatrices et formateurs expérimentés du domaine de la danse. Outre une transmission de savoirs en danse, le droit des associations, la régie son et lumière et la direction artistique ont été abordés et étudiés. Au-delà de la transmission de techniques de danse, les danseuses ont pu mettre en pratique leurs acquis dans un processus de création chorégraphique grâce aux plateformes mises en place depuis 2014 mettant à leur disposition des locaux. Ces lieux leur permettent de travailler en toute quiétude à leur création et d’avoir un regard extérieur de leur projet.

Le nombre de stagiaires augmente chaque année. Le projet Engagement Féminin suscite aussi l’intérêt du monde académique. En témoignent les articles des chercheuses Sarah Andrieu (France) & Nadine Sieveking (Allemagne) et celui d’Emily Coates de Yale University aux États-Unis…

Fort de ces succès, un réseau professionnel est-il en train d’éclore ?

Engagement Féminin milite à la formation d’un vaste réseau de danseuses professionnelles sur le continent. Les participations successives de certaines danseuses démontrent leur intérêt envers le programme et permettent d’asseoir une continuité dans la formation tout en autorisant une évolution du projet. Le succès de la formation Engagement Féminin a conduit à la création et à l’animation d’une véritable communauté interne : le Réseau Engagement Féminin (REF).  Le REF regroupe les anciennes stagiaires qui souhaitent maintenir un lien après la formation, bénéficier de conseils et partager leurs projets professionnels.

Le REF c’est ainsi plusieurs réunions dans l’année, des tables rondes autour de thématiques spécifiques, des conseils et échanges de savoirs et ressources sur les dispositifs culturels et/ou institutionnels de chaque pays, le développement et la valorisation des projets sur le territoire national et international et des invitations aux évènements des danseuses.

Pour vous quelle serait la plus belle réussite d’Engagement féminin à ce jour ?

La plus belle réussite serait de constater que les initiatives portées par les anciennes danseuses d’Engagement Féminin, perdurent dans le temps, contribuent au renforcement de la confiance en d’autres femmes et le rayonnement de la présence d’une nouvelle génération féminine à des directions de formations, de compagnies, de lieux et d’événements culturels sur le continent.  

Dans votre dossier-bilan des dix premières années du programme (2018) vous annoncez des perspectives d’évolution sur 3/5/10 ans. La pandémie en a sans doute contrariées certaines, mais quelles évolutions du programme sont aujourd’hui préconisées ?

En effet, cette évolution du projet imaginée en plusieurs étapes a été freinée par la pandémie mais aussi par des réalités sécuritaires, économiques et politiques. Malgré les difficultés rencontrées, nous avons maintenu les formations en proposant des contenus réduits et adaptés aux réalités. L’idée d’une formation complète de plusieurs modules sur plusieurs années demeure, ainsi que la création d’un temps fort pendant lequel s’exprimeront les chorégraphes féminines à travers leurs œuvres chorégraphiques.

Nous travaillons à mobiliser nos partenaires et nos futurs partenaires à nous accompagner sur nos perspectives d’évolutions sur les 3,5 et 10 années à venir.

Corps engagés propose deux week-ends consacrés à la danse contemporaine africaine à La Rochelle et Bordeaux. Une table ronde sur les enjeux et la fabrique de la danse contemporaine en Afrique aujourd’hui est programmée. De quoi allons-nous y débattre ?

Le thème général sera les enjeux de la formation, de la construction personnelle et la fabrique de la danse pour les jeunes qui s’engagent dans le secteur de la danse contemporaine. Ce débat permettra de croiser les regards et les pratiques autour de la professionnalisation des jeunes tant sur les territoires de la Nouvelle Aquitaine et que de l’Afrique de l’Ouest.

Le public aura le plaisir de découvrir la lauréate d’Engagement Féminin – Salamata Kobré – Pouvez-vous nous présenter cette chorégraphe ?

Salamata est une danseuse et chorégraphe burkinabé. Elle a débuté en tant que danseuse dans les compétitions interscolaires au sein du groupe Saint-Etienne puis découvert la danse contemporaine lors de la phase pilote du programme Engagement Féminin en 2008. Ce stage fut un déclic pour se lancer dans une carrière artistique. Elle a enchaîné les stages et formations auprès de Valérie Berger au Centre de Développement Chorégraphique – la Termitière (CDC), d’ Irène Tassembedo, Mark Tompkins, Seydou Boro et Salia Sanou. Son goût pour la scène l’amène à multiplier des expériences et collaborations artistiques entre autres d’avec les chorégraphes Herman Diephuis, Bienvenue-Bazié, Salia Sanou et Anne Marie Porras et le metteur en scène Aristide Tarnagda jusqu’à la création de  sa première pièce baptisée Djoussou Kouma présentée à plusieurs festivals : Avignon, Danse Bamako Danse, Dialogues de Corps, Fido, In-Out.

Aujourd’hui elle porte le projet « Mookoutalé », qui signifie « La démarche de mon village » en langue bissa. Elle envisage de créer un lieu de formation à Garango, dans la région du centre-est du Burkina Faso et de mettre en place des ateliers de formation. 

Salamata Kobré, vous allez performer votre solo MOOM. Quelques mots sur cette pièce ?

Moom part de ma propre introspection, face à moi-même à travers les couches d’expériences qui constituent mon histoire. La pièce suscite l’autodétermination pour trancher dans le vif et sortir des tenaces poncifs qui pèsent sur nos choix.

A propos de votre solo MOOM, vous dîtes « qu’il exprime le souffle d’une artiste qui veut susciter la prise de parole pour toute personne meurtrie à briser les chaînes des tenaces poncifs et de ne pas renoncer. » En tant que femme-chorégraphe africaine et face à l’adversité, avez-vous parfois songé à renoncer à vos projets artistiques ?

Il m’est arrivé de renoncer à mes propres projets faute de soutien mais l’amour du métier et la rage ainsi que le soutien moral du public me donnent la force de ne pas renoncer.

Et quel regard portez-vous sur l’actuelle situation des chorégraphes femmes sur le (vaste) continent africain ?

La situation est de moins en moins délicate ; il y a de plus en plus des femmes qui s’affirment grâce aux formations  et le fait qu’aujourd’hui nous allions rencontrer le public dans son espace grâce aux restitutions de fin de formation dEngagement féminin, que nous le sensibilisions … tout cela permet d’avancer ! Le projet Engagement Féminin et son réseau ont donné l’envie aux danseuses de porter des projets personnels dans leur pays respectifs. 

Dana Khouri, en première partie de MOOM, une jeune chorégraphe de la Nouvelle-Aquitaine va se produire. Qui est cette artiste qui a remporté votre appel à projet ?

Tout d’abord, l’idée de réaliser une première partie du spectacle Moom par une jeune chorégraphe de Nouvelle-Aquitaine répond au souhait des partenaires de créer des liens entre les territoires africains et notre région. La Cie Auguste-Bienvenue, Café Blanc et l’Institut des Afriques (IdAf) sont tous les trois attachés aux échanges artistiques pour nourrir les pratiques dans les deux sens: français et africains. L’invitation de Salamata Kobré, chorégraphe et danseuse burkinabè confirmée et reconnue, est ainsi l’occasion d’inspirer les créations des jeunes danseurs et danseuses de notre région.

Par Corps engagés nous entendons décentrer le regard sur la danse contemporaine, souvent associée à l’Europe. Des programmes, comme celui d’Engagement féminin, qui sont conduits sur le continent africain, permettent, d’une part, de montrer que l’Afrique aussi a sa propre danse contemporaine, et qu’elle peut tout aussi inspirer le monde ! 

Pour répondre à votre question, la lauréate de notre appel à participation Corps engagés est donc Camille Guillaume, danseuse aux multiples influences, tant ses formations chorégraphiques sont variées (danse et théâtre, danse et clown, hip hop, danse contemporaine, danse d’improvisation). A l’occasion de Corps engagés, Camille Guillaume présentera son tout nouveau solo Milk. Elle se produira le samedi 18 mars à 20h30 à l’Espace Bernard Giraudeau. Milk est un solo de danse, mêlant danse, théâtre gestuel et création sonore. Le spectacle questionne les traumatismes qui nous accompagnent dès la petite enfance. Il incarne, par sa gestuelle, un personnage imaginaire qui n’a pas d’âge qui tente de rassembler les morceaux d’une innocence qui s’éparpille. 

Au-delà de Corps engagés, quelles sont les actions de votre Institut des Afriques en faveur de l’art chorégraphique ?

L‘Institut des Afriques (IdAf) est une structure pluridisciplinaire, qui fédère la diversité d’acteurs engagés dans les dynamiques africaines en Nouvelle-Aquitaine. L’IdAf regroupe donc des acteurs culturels, universitaires, solidaires, publics, associatifs, etc. dans le but de catalyser, sur les territoires de la région, les initiatives africaines. Sa vocation première est de diffuser un regard renouvelé sur le continent africain et sa diaspora. L’IdAf co-construit ses activités avec les acteurs du territoire. C’est ainsi que l’IdAf a répondu présent à la proposition de la Cie Auguste-Bienvenue qui, au départ, consistait à créer des liens avec le programme Engagement féminin qu’elle porte au Burkina-Faso et en Afrique de l’Ouest. Tout est donc parti de la proposition de la Cie Auguste-Bienvenue. L’IdAf jouant son rôle de catalyseur a associé Café blanc, connexions culturelles cosmopolites à cette dynamique et nous avons construit ensemble le format du week-end Corps engagés 

Globalement, les activités de l’IdAf sont organisées autour de 4 axes: un centre de ressources pour capitaliser sur les savoirs en/sur les contextes africains, une programmation annuelle pluridisciplinaire, intitulée Saison de l’Institut des Afriques, dans le cadre de laquelle se tient le week-end Corps engagés, des médiations conçues pour sensibiliser les jeunes aux dynamiques africaine et un programme de résidence d’écriture destiné aux auteur.e.s francophones du continent africain et d’Haïti, pilotée avec Alca, la Villa Valmont, le Centre Intermondes, la Maison des Écritures de La Rochelle et, lorsqu’il s’agit des écritures dramatiques, avec les Francophonies-des écritures à la scène. 

Laurence Moinard, à quel niveau intervient Café Blanc dans ce projet ? Et plus globalement quels sont les projets que votre bureau soutient à l’année ?

Café blanc est chargé de la mise en œuvre de la manifestation à La Rochelle. Sensibiliser le public est un objectif majeur, pour cela il faut le faire connaître des médias, organiser la campagne de street-marketing. Nous gérons l’Espace Bernard Giraudeau (mis à disposition par la Ville), accompagnons le travail des régisseurs, mettons en place la billetterie, facilitons les hébergements et la restauration pour toute l’équipe. Tout se fait en étroite collaboration avec l’Idaf et la Cie Auguste Bienvenue.

À l’année, nous soutenons le développement de JOG, fusion originale Musiques de l’Inde et Musiques Actuelles (collaboration avec Myriades & Cies-Paris), le saxophoniste Carl Schlosser pour son projet Hypnotic Octo’pulse avec le pianiste Franck Jaccard, la conteuse Justine Devin pour son projet 3 en Inde (avec Mosin Kawa et Hervé Sicard de JOG), nous accompagnons, pour la diffusion, le chanteur urbain et slameur Sebseb (collaboration avec Contre-Courant Production-Toulouse).

Enfin, nous poursuivons le projet expérimental multi-culturel Traverser les Frontières depuis 2016, réflexion sur leur existence au travers de différents langages artistiques, grâce auquel nous avons rencontré l’Institut des Afriques. Ce projet creuse son sillon au fil du temps et se présente comme une série. En 2024, nous reprendrons Frontières/SlamRap et Vidéo avec Sebseb pour l’écriture et Sallah Laddi, réalisateur (Coolisses), une série d’ateliers visant une formule finale ciné-concert.

Propos recueillis par Cédric Chaory

©P. Majek

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