Le Temps d’aimer la danse 2018
Durant une dizaine de jours, Biarritz va aimer la danse à travers la 28ème édition de son emblématique festival. 18 pièces, 4 créations dont une première mondiale fort attendue. Le tout concocté par Thierry Malandain, directeur artistique. Interview.
L’ouverture du festival en impose : la première mondiale d’Embers to Embers qui réunit les deux stars Marie-Agnès Gillot et Carolyn Carlson. Comment avez-vous réussi ce tour de force de programmation ?
J’ai tout simplement appelé Marie-Agnès ! (rires) Elle a pour habitude de venir à Biarritz mais n’y a jamais dansé. Maintenant qu’elle a pris sa retraite de l’Opéra de Paris, elle est plus disponible. Pour tout vous dire nous avons dû annuler le spectacle d’ouverture du festival et il me fallait donc le remplacer. C’est là que Marie-Agnès est intervenue. Je lui ai proposé en premier lieu une carte blanche mais finalement Embers to Embers s’est imposé. Il est composé d’une succession de soli et duos de Marie-Agnès et Carolyn. Un des soli a été réglé il y a bien longtemps mais n’a jamais été dansé.
Le temps d’aimer est aussi l’occasion de découvrir de jeunes talents. Je pense à Stephen Shropshire et Oona Doherty …
Bien sûr, j’accorde beaucoup d’importance à l’émergence. Nous recevons tout au long de l’année de nombreuses sollicitations et il est très compliqué de concevoir une programmation qui se tient. Les paramètres financiers, techniques, les formats proposés, les disponibilités des compagnies, la prise en compte du public, la place faîte aussi des compagnies du territoire de la Nouvelle-Aquitaine… toutes ces « contraintes » m’obligent à faire des choix donc à dire beaucoup non ce qui est toujours difficile. Puis finalement advient l’alchimie de la programmation au terme d’un processus laborieux où j’aurai plus ou moins imposé, après débats, mes choix artistiques.
Concernant l’émergence, il m’apparaît primordial de la soutenir. Nous savons tous que les financements des compagnies sont de plus en plus ténus. Les jeunes chorégraphes ont encore pour eux cette chance d’attirer l’attention : l’attrait de la nouveauté sans doute… Mais pour les chorégraphes plus établis, qui voient eux aussi leur subvention fondre, c’est souvent plus dur.
L’Aspen Santa Fe Ballet, pour qui vous avez chorégraphié un Après-Midi d’un Faune est également au programme. Un coup de cœur pour cette troupe américaine ?
Il me semble que j’ai travaillé à 2-3 reprises pour eux. Je connais bien le directeur artistique du ballet – Jean-Philippe Malaty – natif de Biarritz. L’Aspen a cette incroyable chance, comme bon nombre de compagnies américaines, d’avoir de généreux mécènes. Aussi, la venue de la compagnie en France nous a quasi été offerte. C’est un incroyable cadeau !
En France, je déplore que le mécénat ne s’en tienne qu’au sport et ce qui rapporte un rapide retour sur investissement. Pour moi le vrai mécénat est un acte philanthropique. Au vu des nombreux abattements fiscaux en cours, on serait en droit d’espérer bien plus. Le CCN de Biarritz est toutefois l’un des centres qui bénéficie le plus de ce genre d’aides, mais c’est sans commune mesure avec l’Opéra Garnier ou la Comédie-Française à l’aura plus médiatique. Nous avons tissé des liens très particuliers avec la maison Repetto qui a ses ateliers en Nouvelle-Aquitaine. Son directeur aime mon travail et me le rend bien.
Le festival propose toutes les couleurs de la danse mais c’est un Giselle par le Ballet du Capitole qui le clôture. Manière d’affirmer votre préférence pour la danse classique ?
Pas du tout. Il n’y a rien de « politique » ici. La raison de la programmation de Giselle en clôture est que la troupe de Kader Belarbi a besoin d’une bonne quinzaine de jours de répétition pour être en jambe. Toute sa troupe, une quarantaine de personnes, est actuellement en vacances. Vacances méritées car le ballet tourne beaucoup. Kader a dû négocier avec son équipe pour qu’elle soit opérationnelle au plus tard le 16 septembre, soit le jour de clôture du festival.
Comment se porte la danse basque, encore une fois particulièrement bien représentée dans votre festival ?
Elle va parfaitement bien. Il y a 2 aspects dans la danse basque. La contemporaine que nous soutenons beaucoup au CCN via des accueils-studio et la traditionnelle. Elles sont toutes les deux aussi vivaces. Le public est toujours étonné de découvrir combien la danse basque traditionnelle est formidable et c’est une belle erreur de la part des programmateurs de ne pas la diffuser dans leur théâtre, la jugeant hâtivement « folklorique ». La danse traditionnelle est multi-générationnelle et loin d’être une danse morte. Chorégraphiquement, elle est extrêmement riche. Nous avons accueilli il y a quelques années l’Académie Bournonville au CCN. Parmi les nombreux cours de danse, il y avait une classe de danse traditionnelle basque. Les participants ont été surpris de voir au combien elle se rapproche de l’exigence et de la richesse de la danse classique.
Cette année vous fêtez vos 20 ans à la tête du CCN Ballet Biarritz. 20 années où vous avez réussi à imposer un regard neuf sur le néo-classique. Êtes-vous toujours aussi enthousiaste à l’idée de diriger une telle structure ?
Je reconnais que c’est un travail éprouvant qui parfois peut lasser. Rien n’est jamais gagné : chaque nouveau spectacle est un défi et qu’importe que le précédent ait remporté des prix, un succès public et critique. Chaque jour, je compose avec un danseur blessé, un budget à boucler. La pression, le doute, la fatigue s’accumulent année après année.
Je suis un éternel anxieux et depuis 32 ans que je fais ce métier je dois composer avec ce trait de caractère. Je devais quitter la direction du CCN en 2019. Cette annonce de départ a occasionné énormément de stress dans mes équipes, tellement investies, mais finalement on m’a proposé de rester jusqu’en 2022. Passée cette date, je n’ai aucune idée de ce que je vais faire. Poursuivre si on me le propose nouveau ou passer à tout autre chose. C’est toujours délicat les fins…
Pour l’heure, vous êtes tout à la création de Marie-Antoinette.
Laurent Brunner, le directeur de Château de Versailles m’a à nouveau sollicité. Pour lui et son Opéra de Versailles j’ai signé Cendrillon et La Belle et la Bête. Là, il me propose non pas un conte mais un portrait de la fameuse reine. C’est un sujet compliqué sur lequel je ne me serais pas penché. Les attentes sont énormes. La pièce est déjà achetée dans de nombreux pays, dont les USA qui semblent particulièrement enthousiastes à l’idée.
Cela me dérange (et me stresse) d’ailleurs : adhérer à l’avance à un projet qui n’est même pas finalisé. J’ai chorégraphié 40 mn à ce jour et nous présenterons une avant-première à Biarritz en novembre. J’i beaucoup lu pour ce projet et chaque page me faisait prendre conscience du défi à relever. À mon avis, un sujet comme Marie-Antoinette nécessite de gros moyens que seule une importante compagnie du type Garnier possèderait mais j’y vais tout de même !
Au départ je souhaitais pour bande son des concertos du Russe Alfred Schnittke. J’aime son œuvre aux teintes baroques, mystérieuse et noire. Cela créait un vrai décalage pour un ballet en costumes d’époque. Mais très rapidement je me suis rendu compte que sa musique nécessite la présence de nombreux solistes, ce qui augmente considérablement le coût de la pièce … sans parler des droits exorbitants qui me furent demandés. Et puis les programmateurs ne semblaient pas vouloir acheter la pièce avec ce compositeur.
Je me suis donc rabattu sur Joseph Haydn. Son oeuvre n’a aucune texture dramatique, comme d’ailleurs toute la musique classique du 18ème mais ça fonctionne tout de même. C’est étonnant comment chacun de mes projets mis en musique par un compositeur contemporain sont contrariés, n’aboutissent pas. Niveau diffusion j’entends. À la manière d’une Sofia Coppola, nous ne verrons pas Marie-Antoinette en route pour la guillotine, Place de la Concorde. Nous ne verrons pas Vienne non plus. Toute l’action se situera à Versailles. Chorégraphier des évènements politiques n’est pas aisé d’un point de vue de mise en scène. Il m’a fallu faire ses premiers choix. Nous retournons prochainement en studio. À suivre donc.
Propos recueillis par Cédric Chaory
©Stéphane Lartigue