Stephan Lauret et Lise Saladain

Bordeaux et La Rochelle, un duo de danse

La Manufacture CDCN pose ses valises à La Rochelle et devient le premier des CDCN a posséder deux antennes en région. Une expérimentation salvatrice pour la Nouvelle-Aquitaine immense territoire qui voit souvent les propositions danse se concentrer dans la seuel métropole bordelaise. Rencontre avec la direction du Centre de développement chorégraphique nationale.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la fusion des Éclats et de La Manufacture CDCN ?

Lise Saladain (directrice déléguée du CDCN) : D’un point de vue juridique, nous parlons d’un transfert partiel d’activités, c’est-à-dire une reprise de certaines activités des Éclats mais pas toutes. Nous valorisons aujourd’hui les activités rochelaises liées aux cahiers des charges des CDCN*. En 2017 déjà, nous avions opéré une fusion-absorption avec un ancien projet lorsque nous nous sommes installés à La Manufacture de chaussures, cela fut un gros travail juridique pour mettre en place une nouvelle gouvernance de l’Association Esprit de Corps qui a été décidée d’un commun accord avec nos tutelles.

Qui vous a commandé ce transfert d’activités ?

Stephan Lauret (directeur du CDCN) : Cette demande a été formulée par la région Nouvelle-Aquitaine. Les Éclats étaient financés d’abord par la Région, l’État, ainsi que par le département de la Charente-Maritime et la ville de La Rochelle. La région, changeant son règlement d’intervention, n’avait plus les cadres adaptés pour financer cette structure. Ils se sont donc retournés vers elle et le CDCN pour imaginer un nouveau projet. Je pense que les Éclats étaient arrivés à une forme d’épuisement et que les tutelles voulaient renouveler les contenus, les discours, les interlocuteurs. Nous avons donc imaginé ce transfert partiel d’activités car il nous apparaissait comme le plus pratique. On ne reprenait ni le passif, ni l’actif de l’association des Eclats, qui existe toujours mais est en sommeil. Nous nous sommes donc concentrés essentiellement sur le personnel. Charlotte Audigier est devenue cheffe de projet à la Rochelle de La Manufacture CDCN et Clémence Dheilles, chargée des relations avec les publics, va voir ses compétences se développer en médiation en fonction du renforcement des activités de la Chapelle. La ligne artistique est tracée par la direction tout en étant attentifs des propositions formulées par la cheffe de projet de La Rochelle.

Vous attendiez-vous à une telle demande de la Région ?

Lise : Pas nécessairement non car nous menions, à ce moment-là et de manière récente, nos propres aventures sur un territoire à reconquérir. Lors de cette demande des tutelles, nous étions en effet déjà dans une réelle problématique car nous venions de quitter le Cuvier d’Artigues-près-Bordeaux pour investir la Manufacture de chaussures. Le CDCN voyait alors son équipe renouvelée à 50%. Alors même que nous développions et rodions notre nouveau projet toujours dédié à la production et la diffusion de la danse, et à la rencontre entre les œuvres et les publics et personnes mais avec un nouvel axe de travail lié aux nouvelles écritures théâtrales et pluridisciplinaires et à l’animation de la communauté artistique, la demande d’implication sur le territoire rochelaise et nord néo-aquitaine est intervenue 2-3 mois plus tard. Il y a donc eu deux transformations consécutives pour créer un tout nouveau CDCN en Nouvelle-Aquitaine mais cette demande nous a semblé, très intéressante pour la danse avec l’idée d’une meilleure circulation de cette discipline en région, en lui impulsant une nouvelle dimension.

Concernant la Chapelle, il y a donc un renforcement de la diffusion-production mais quid du festival Les Éclats ?

Stephan : Comme nous l’avons dit, la forme juridique nous a invités à faire une sélection des activités des Eclats, et le festival n’a pas été retenu dans le transfert partiel des activités. La question était : qu’est-ce qui est efficient ou pas aux Éclats ? et le festival n’est pas apparu auprès des tutelles comme une priorité.

Lise : A contrario les Premiers Regards ont été conservés. Nous sommes venus avec Stephan assister à ces sorties de résidence et y avons observé le vrai intérêt du public pour ces moments de partage artistique. Nous avons noté cependant que ces moments de résidence n’étaient pas assez solides pour les chorégraphes. Le CDCN va donc les renforcer avec notamment un accompagnement financier des artistes. Trouver un espace de résidence est aujourd’hui relativement aisé pour un chorégraphe mais un accompagnement financier l’est beaucoup moins. La Chapelle Saint-Vincent proposera désormais des temps de travail de 10 à 15 jours et non plus une semaine. Les résidences seront également rémunérées. Des co-productions pourront être envisagées. Il y aura certes moins de premiers regards mais ils seront mieux  accompagnés.

Très bien mais le festival des Éclats rayonnait bien au-delà de La Rochelle en insufflant de la danse contemporaine dans tout le Nord de la Nouvelle-Aquitaine ?

Lise : Il faut comprendre que notre projet est toujours en cours de construction. Nous avons commencé à rencontrer les partenaires historiques des Éclats, situés essentiellement dans le nord de la Rochelle mais c’est encore en travail et cela mérite quelques réflexions et concertations supplémentaires. L’axe premier de notre travail reste le renforcement des résidences à la Chapelle. À Bordeaux, nous développons depuis quelques années un festival de danse dédié au jeune public intitulé POUCE ! et qui rayonne dans la métropole bordelaise. Quelques propositions  viendront aussi sur La Rochelle et alentours. Je pense notamment à Blablaba d’Emmanuelle Lafon programmé au Carré Amelot, avec qui nous nous sommes entendus esthétiquement et artistiquement sur cette proposition, et à La serpillière de Mr Mutt de Marc Lacourt qui lui sera diffusé à la Salle de spectacle de l’Arsenal au Château d’Oléron et à la Chapelle Saint-Vincent.

Allez-vous poursuivre la collaboration avec le CCN de Kader Attou ?

Lise : Bien sûr. La chapelle a toujours collaboré avec le CCN de La Rochelle et cette histoire va perdurer. Nous avons échangé avec Kader Attou et avons décidé dans le cadre de notre collaboration de soutenir leur artiste compagnonne : Nach. Cette artiste sera accueillie à la chapelle Saint-Vincent à La Rochelle le 10 mars avec une performance inédite, Nulle part est un endroit, et à Bordeaux le 24 mars avec sa création Beloved shadws dévoilée à la Chapelle Fromentin en novembre prochain. D’ailleurs nous suivons Nach depuis pas mal d’années puisque nous l’avions repérée dès 2012 en tant qu’interprète chez Heddy Maalem dans l’Éloge du puissant royaume.

Votre saison rochelaise s’ouvre dès le 2 octobre avec une double programmation. Pouvez-vous nous la présenter ?

Stephan : Ce sont des formats particuliers qui seront proposés car la Chapelle n’est pas un espace de diffusion à proprement parler donc nous avons pensé à ces deux pièces des artistes Claudia Catarzi et Marcela Santander Corvalan. Elles seront surélevées sur des plateformes et nous inviterons le public à une forme d’itinérance. Nous voulions marquer notre arrivée par un geste fort, signifiant et c’est le cas avec Claudia et Marcela, deux fortes personnalités aux gestes très précis et présents.  Nous sommes là dans une autre nature de programmation qui illustre parfaitement notre prise d’exposition esthétique.

Lise : L’espace de diffusion à La Chapelle pose question car comme le dit Stephan ce lieu n’est pas propice à la programmation de spectacles mais cependant nous ne souhaitons pas présenter au public que des Premiers Regards, des work in progress car la danse contemporaine n’est pas qu’état de recherche. Le public a besoin de voir une pièce dans son intégralité, l’œuvre achevée. Aussi, il y aura dans la saison 4 ou 5 œuvres pièces programmées dans la Chapelle. Concernant celles du 2 octobre, 40 000 cm2, qui a lancé Claudia, est un petit bijou de danse contemporaine et Disparue de Marcella travaille de manière très marquante et avec une puissante adresse au public sur la thématique de la position accroupie.

Un dernier mot sur le travail de médiation à La Rochelle ?

Lise : Cette question est très importante et sera développée sur le territoire de la Charente-Maritime. Nous avons imaginé tout un travail de formation des artistes, des interprètes, des professionnels de la culture via des Master-class. Sur les 13 proposées par le CDCN, 2 se dérouleront cette année à La Rochelle notamment avec Claudia Catarzi et La Tierce. Nous allons également diffuser sur ce territoire notre savoir-faire en matière de médiation, d’éducation artistique et culturelle et de production de ressources. Dans un premier temps en mettant à disposition nos outils ressources et en développant, si les conditions pratiques sont réunies, de plus en plus d’actions en direction des publics et des personnes.  

Propos recueillis par Cédric Chaory

 

*Centre de développement chorégraphique national

 

INFORMATIONS PRATIQUES : https://www.lamanufacture-cdcn.org/

©Madeleine Lemaire