Jean-Claude Gallotta

La troisième soirée du festival «Danse et vous» s’ouvre avec «Daphnis é Chloé» , un spectacle créé en 1982 pour le festival d’Avignon et remis au goût du jour l’an passé par Jean-Claude Gallotta, l’un des trois danseurs de la toute première version. Occasion d’interviewer ce protagoniste de la « nouvelle danse française ».

Le festival Danse et Vous de Cognac met à l’honneur la danse des années 80. Depuis quelques années un important revival 80’s s’opère dans les théâtres. Comment interprétez-vous cela ?

Je suis toujours content de revisiter des pièces chorégraphiques qui ont déjà existé. On a coutume de parler d’art éphémère pour la danse mais l’art chorégraphique c’est surtout un patrimoine qui mérite d’être valorisé tout comme on relit un roman ou revoit un classique du cinéma. Ce revival de la « Nouvelle Danse Française » je le prends avec beaucoup de philosophie en me disant que, dans l’art comme partout, tout est question de cycles ou alors est-ce la danse des années 90, expérience extrême, qui a trop dérouté le spectateur qui aujourd’hui souhaite revoir une danse contemporaine moins conceptuelle, plus dans le mouvement ?

Vous êtes un des protagonistes-clés de cette parenthèse enchantée de la danse contemporaine française. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Extraordinaires. Je ne venais pas du tout du sérail de la danse, je me destinais à être peintre. Je me suis amusé au sens noble du terme dans ce milieu que je découvrais et qui m’apparaissait nettement plus libératoire que les Beaux- Arts où je ressentais comme un enfermement psychologique, et une grande solitude. Dans les studios tout n’était que joie, jeu avec le corps, les autres, l’espace. En fait tout ce que je cherchais dans la peinture, je l’ai trouvé dans la danse. A cette époque, à la fin des années 70, l’art chorégraphique français était plus que poussiéreux. Moi j’arrivais avec ma fraîcheur et mon audace. Les gens du théâtre ont trouvé cet élan créatif de cette nouvelle génération de chorégraphes très salutaire. Ils nous ouvert toutes les portes, aidés par un Ministre de la Culture lui aussi aventurier et visionnaire. (NDLR : Jack Lang, Ministre de la Culture). Tout était réuni pour que la danse française entre dans une nouvelle ère.

Avec ce revival se pose la question récurrente du patrimoine et répertoire de la danse contemporaine. Une question qui vous tenaille…

Exactement. Je me considère comme un chorégraphe-auteur. Je n’ai pas envie de voir disparaître mes œuvres. Dès mes débuts s’est imposée à moi la question du répertoire en danse contemporaine, mais la plupart de mes confrères assimilaient cette question à la danse classique et s’en détournaient. Les récents décès de Béjart, Cunningham et Bausch ont reposé clairement cette question du répertoire. Elle est désormais au cœur des questionnements des chorégraphes contemporains.

De mon vivant, je mets tout en œuvre pour que « mes classiques » vivent. Avec ma compagnie Groupe Émile Dubois on a décidé de proposer une création et une reprise à chaque fois. On utilise notation et  captation vidéo des chorégraphies. J’ai quelques archives filmées de mes anciennes pièces mais leur qualité n’est pas bonne. Aujourd’hui on note, on fait appel aussi à la mémoire, au ressenti des anciens interprètes et à la technologie. Tout est fixé beaucoup plus solidement.

Après de nombreuses recréations de vos œuvres-phares (Ulysse,…), pourquoi avoir remonté Daphnis é Chloé 30 ans après sa création ?

Daphnis é Chloé s’est imposé au moment où la compagnie était engagée dans L’homme à tête de chou. Cette pièce monopolise la quasi-intégralité de ma compagnie. Pour la reprise, il fallait donc une pièce qui sollicite peu de danseurs. Pour Daphnis, seuls 3 interprètes sont nécessaires… Avec l’envie forte de revoir      cette pièce renaître, le choix s’est aussi basé sur des données logistiques et économiques !

Cette œuvre pourrait à son tour, et comme Ulysse, intégrer le répertoire de l’Opéra Garnier ?

Pourquoi pas… Mais mon Daphnis é Chloé n’utilise pas la partition de Maurice Ravel ce qui pourrait être un frein à une éventuelle intégration dans le répertoire de l’Opéra Garnier. La partition de ma pièce est signée d’Henry Torgue, un musicien contemporain. Ceci dit Daphnis é Chloé conviendrait parfaitement aux danseurs de l’Opéra de Paris. Avec tout le background technique que ces artistes possèdent, ils sont parfaits pour les pièces contemporaines des années 80.

Depuis les années 80, la danse contemporaine française a connu de grandes mutations avec le hip-hop, les nouvelles technologies et comme nous le disions précédemment la danse conceptuelle…

Il est fondamental qu’un art évolue en permanence, aussi les chorégraphes doivent incessamment inventer, trouver de nouvelles techniques, tester à tout-va. Je pense que ma génération a ouvert pas mal de portes aux chorégraphes dite de la non-danse même si nous n’avons pas été aussi radicaux dans le fond et la forme. Il y a eu pourtant un mouvement monté de toutes pièces par les professionnels de la danse, visant à nous opposer à cette jeune génération apparue à la fin des années 90. On a tenté de nous marginaliser. Ce sont des querelles tout sauf artistiques et bien trop excessives. Ce que j’ai craint avec ces fausses polémiques c’est que les salles se vident de ses spectateurs. Heureusement non, le public est toujours au rendez-vous.

Vous êtes directeur du CCN de Grenoble depuis quelques décennies maintenant. Toujours aussi frais, motivé ? Pas trop jalousé ?

Vous savez le Groupe Émile Dubois est né à Grenoble, tout comme moi d’ailleurs. Nous sommes fondateurs de quelque chose dans la région et cette fidélité est fortement appréciée ici. Nous avons toujours le feu sacré. Le CCN ouvre grand ses portes à la relève avec les accueil-studios. Je ne ressens aucune attaque frontale, aucune jalousie. Sans doute aussi parce que dans la région existe de nombreuses autres structures pérennes pour les artistes-chorégraphes.

Le Sacre du printemps est votre dernière création. Encore une histoire de relecture !

Lorsque j’ai découvert l’univers de la danse, je me suis plongé dans son histoire. Des œuvre-phares comme Le sacre du printemps m’ont tout de suite interpellé mais à mes débuts je ne me sentais pas assez armé pour aborder une telle œuvre. Étonnamment c’est au cours de la création de L’homme à tête de chou que cette assurance s’est révélée. J’ai compris que la compagnie avait l’énergie nécessaire pour relever ce défi. Je ne peux m’empêcher aujourd’hui d’associer ces deux dernières œuvres.

Propos recueillis par Cédric CHAORY (Mars 2012)

©Cie Jean-Claude Gallotta