P.P.P – Phia Ménard

L’art et la matière

Ambiance glacée dans la grande salle du Monfort. Les spectateurs entrent en un même temps, dans un même mouvement. Si la glace n’attend pas pour se transformer, Phia Ménard, elle patiente. Assise sur un bloc de glace, dos au public, enveloppée dans un manteau de fourrure, les mollets recouverts de longues chaussettes noires, elle attend… notre présence. Elle a tant à nous faire vivre, partager, ressentir.

Etre solitaire entouré d’éléments glacés, mais aussi de congélateurs et d’un vestiaire mobiles, Phia Ménard se jette dans la matière avec une incroyable ferveur. P.P.P, Position Parallèle au Plancher, est un dialogue époustouflant entre l’Homme et la Matière. Entre les qualités intrinsèques de cette dernière et les capacités insoupçonnables de l’être humain de faire avec, d’agir sur. D’être à corps. Bien sûr, il ne s’agit pas de n’importe quel être humain. Sans vouloir la magnifier, on peut s’accorder sur le fait que Phia Ménard est sans conteste une artiste exceptionnelle. Une femme exigeante, au parcours artistique foisonnant, où jonglerie, danse, performance et bien d’autres formes d’art se côtoient. En recherche permanente, elle crée des espaces de jeux complètement nouveaux où les matières, qui sembleraient a priori insaisissables, ou difficilement manipulables, se laissent manier, modeler, pour donner naissance à ce que l’on ne connaît pas. Un territoire entre magie et poésie. Un espace neuf tout entier dédié au ressenti.

Dans P.P.P, comme dans d’autres pièces, notamment Vortex, Phia Ménard interroge la matière mais aussi l’identité, celle ou plutôt celles, car elles sont multiples, qui nous caractérisent. L’artiste elle a dû composer pendant de nombreuses années avec un corps d’homme dans lequel elle ne se reconnaissait pas. Devenue aujourd’hui Phia Ménard et non plus Philippe Ménard, elle sublime les transformations éprouvées par son corps pour devenir femme, en manipulant l’air, la glace, l’eau. Les gestes de ce personnage solitaire sont alors précis, méticuleux. Manipulée avec soin, avec force, la glace prend des formes variées. Son côté pur, lié à sa blancheur, sa transparence, n’en fait pas moins une matière extrême. A son contact, on peut à la fois s’y brûler et s’y glacer. Phia Ménard passe du chaud au froid avec une telle volonté, une telle envie que même en « position parallèle au plancher », elle semble debout. Le travail de la matière au contraire, paraît lui redonner force, pugnacité. Jouant avec une telle dextérité, vigilance et joie de ces gros glaçons, de ces masses froides, ou autres paillettes glacées, elle transcende la mutation, et toute opération de transformation.

Le corps et le cœur à l’ouvrage, elle s’applique à faire d’un tas de glace, un autre tas de glace. Puis à l’aide d’une grande pelle, ce dernier devient un refuge, elle y fait son trou. Mais la transformation ne s’arrête pas là, méticuleusement, de manière régulière elle repousse la glace et crée ainsi des cercles concentriques et crée sans cesse de nouveaux espaces à redéfinir. Cette dernière séquence du spectacle est d’une beauté et d’une poésie saisissante. Elle crée l’espace de la transformation, elle donne vie à cette mutation, la sienne comme celle de la matière. De la répétition, de l’acharnement naissent des formes esthétiques troublantes, propices au voyage imaginaire comme à la réflexion. P.P.P, est un remarquable travail sur ce qu’est un corps à l’ouvrage en scène.

Et quel corps, lorsqu’on sait les opérations qu’il a dû subir pour s’incarner totalement. Illustration parfaite de l’engagement total d’une artiste et de son équipe dans une direction où le jeu et la réflexion se mêlent en permanence, on comprend que P.P.P, créée en 2008, tourne encoreLes spectacles de la compagnie Non Nova, sont tout autant une expérience humaine qu’artistique. On y vibre, on y tremble, on y rit, sourit, appréhende, réfléchit, rêve… P.P.P fait partie de ceux là, pour notre plus grand bien et celui du monde qui nous entoure.

Fanny Brancourt (Novembre 2014)

©Jean-Luc Beaujault