These shoes are made for walking – Nancy Naous

These shoes are made for walking, la nouvelle pièce de la chorégraphe libanaise Nancy Naous, installée à Paris depuis 2002, a pour sous-titre Essais chorégraphiques autour des événements en cours dans le monde arabe. Travaillant depuis plusieurs années sur le corps violenté par des événements tels que la guerre, les affrontements, les bombardements, subis par les populations dans le monde arabe, elle développe ici un langage propre en s’appuyant notamment sur une danse populaire orientale La Dabkeh. Une danse dansée en ligne, aussi bien par les hommes que par les femmes.

Soulignés par une douche de lumière, les dos nus d’une femme puis d’un homme nous sont offerts au début du spectacle. Accompagnés du musicien et compositeur Wael Koudaih, ils donnent à cette partie de leur corps une puissance incroyable. Comme si tout pouvait être dit, par ce « dos-bouche ». Torsions, fragmentations, vibrations s’enchainent pour énoncer une pression, une oppression. Gueuler un état, une émotion sans doute trop longtemps contenue. Les omoplates, les côtes sont autant d’éléments prenant part au langage, imposant leur présence et ne lâchant rien. Après cette première séquence, le duo de danseurs alterne des scènes à la partition commune et au jeu propre à chacun d’entre eux. Dalia Naous (sœur de la chorégraphe, qui travaille pour la compagnie depuis de nombreuses années) s’empare d’un micro et tente de verbaliser quelque chose sans jamais vraiment pouvoir y parvenir. Si ce ne sont les premiers mots d’une salutation en arabe, seuls ses souffles, ses respirations sortent. N’arrivant pas à donner de la voix, elle se déplace micro en main et crée une résonnance au câble de ce-dernier. Peut-on y voir une image de soumission ? La liberté se mesurant à la longueur de la chaîne. Si les mots ne viennent pas, les respirations prennent l’espace et sont l’occasion de faire vibrer le danseur à ses côtés. Le menant presque à sa guise.

Dans un autre temps, Nadim Bahsoun, va lui aussi expérimenter la contrainte et la difficulté de sortir de sa condition. Pas de deux avec un fauteuil couvert de scratchs. Son corps devient l’outil de sa volonté lui permettant ou pas de quitter son état. A côté de cette femme debout qui tente de s’exprimer, on pourrait voir cet homme comme la figure d’un masculin bien ancré dans ses principes et valeurs, dirigeant ses affaires et celles des siens depuis un certain confort, dont il serait le seul à pouvoir prétendre. L’image de l’homme et de la femme, pour Nancy Naous paraît bien claire. Mais au-delà de ces perceptions qu’elle souligne pour mieux les dépasser ­- dans une autre scène la danseuse revêt une ceinture de chasteté en or, avec cadenas et clochettes, marquant à la fois la crainte du corps de la femme (d’où le contrôle que certains hommes se permettent d’imposer sur celui-ci) mais aussi la fascination qu’il exerce au travers de la danse orientale notamment­ – la chorégraphe fait du corps dansant un corps témoin, poreux aux conditions de vie et aux violences dont il est la victime. Les corps persécutés, fragmentés, décomposés par les évènements secouant le monde arabe, sont les mêmes que les corps dansant la Dabkeh. Mais ici, les danseurs de These Sshoes are made for walking, transforment la danse traditionnelle pour l’inscrire dans un temps présent, dans une écriture contemporaine. Avec pour accessoires, à la fin du spectacle, des lunettes de plongée, et des bonnets de soutien-gorge faisant office de masques (accessoires qui furent utiliser contre les gaz, pendant les manifestations notamment), ils scandent par des mouvements de frappe, des déhanchements, des bras qui s’élèvent, une révolte. Un engagement. Prendre part à son existence et ne pas laisser qui que ce soit s’en charger à notre place, pourrait être un résumé de cette pièce.

Nancy Naous intègre parfaitement la Dabkeh dans son écriture, sans jamais en faire quelque chose d’anecdotique, qui la réduirait. Les deux danseurs prennent d’ailleurs en charge cette écriture avec beaucoup de fougue et d’aplomb. Il y a cependant une fragmentation trop forte entre les différentes scènes, qui nous éloigne d’un fil qu’on n’identifie pas vraiment. Fragmentation qui pourrait être celle des vies traversées par la guerre ou tout autre bouleversement, mais ce n’est pas si clair. These shoes are made for walking est une pièce à voir malgré cela, pour tous les ponts créés entre les corps meurtris et les corps dansant, entre les populations d’ici et de là-bas.

Fanny Brancourt, Maison des Métallos Paris (Novembre 2014)

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