La légèreté des tempêtes – Christian et François Ben Aïm

Désirs, dits et contredits

Le Petit Robert définit la légèreté comme : « le caractère d’un objet peu pesant, de faible densité. Qui se meut avec aisance, facilité. » Idée originale que d’associer ces caractères propres à la légèreté à celui de la violence caractérisant la tempête.

Pour leur dernière création, La légèreté des tempêtes, Christian et François Ben Aïm, poursuivent le désir et tout ce qui le meut. Ce dernier est le lieu d’une improbable cohabitation et pourtant… Pouvant prendre différentes formes, il est à l’origine d’émotions elles-mêmes multiples. Aussi danses et musiques s’unissent pour rendre mouvants, sonores mais aussi poétiques ces cheminements émotionnels. Jean-Baptiste Sabiani auteur de la composition musicale a convoqué trois violoncellistes et un chanteur-percussionniste, pour donner ainsi à sa partition une sensibilité toute particulière dans laquelle l’intime navigue entre introversion et extraversion. Juchés sur de hauts cubes noirs les violoncellistes créent tout autant que les danseurs, cette matière légère et tempétueuse propre au désir. Chez les frères Ben Aïm, les tempêtes, ne sont pas seulement faites de souffles à la violence graduelle. Elles sont l’occasion de se frotter, d’affronter des désirs parfois nourris de contradictions mais toujours révélateurs d’une part intime et profonde de soi.

Leur danse se révèle entre courbes et spirales. L’ombre et la lumière se mêlent comme autant de couleurs et d’antinomies. Les quatre interprètes présents sur le plateau, redoublent de cette légèreté de mouvement, de déplacement leur permettant d’être à la fois l’espace et dans l’espace. Parfois dépassés par leur désir, les corps lâchent prise, dégagent dans un même temps fluidité et contrariété. Les gestes et changements d’énergie surprennent autant qu’ils enivrent. On se laisse porter par ces vents contraires avec délectation. Les voies empruntées par les désirs mènent les corps, les malmènent parfois à la manière d’une grande marée, profonde et puissante. Les grimaces s’échappant du visage d’une des danseuses sont autant de mots que les sautillements et attitudes qui en animent une autre. Les désirs se croisent, s’interpénètrent, se font face ou écho, la retenue de l’un se confond avec l’exultation de l’autre. Ce désir au cœur de La légèreté des tempêtes dissémine un certain enthousiasme, une jouissance mais aussi une révolte contenue, une tristesse errante.

La pièce des frères Ben Aïm est un doux moment né d’une belle collaboration entre les différents artistes au plateau et ceux en dehors qui y ont contribué. Dans un espace mouvant – les trois cubes noirs sur lesquels sont juchés les violoncellistes sont régulièrement déplacés créant ainsi divers espaces, diverses circulations permettant aux danseurs de fuir, de se cacher ou encore de se révéler – , où les désirs se heurtent, se déplacent, se transmettent, s’exhibent… il n’est rien de plus beau que d’assister à la révélation d’un être, de sa sensibilité, de son intimité et surtout de ce qui fait de lui un être vivant et debout. Dommage que cette légèreté ne s’ancre parfois pas plus dans les tourbillons émotionnels et ne s’empare du désir comme elle s’emparerait d’un sabre et du tranchant de sa lame.

Fanny Brancourt, Espace 1789 Saint-Ouen (Décembre 2014)

©Fédéric Lovino