Multitude de gestes au CDCN La Manufacture

A l’ombre du Palais des Papes, pendant le festival d’Avignon, umoove a rencontré Lise Saladain, directrice déléguée de La Manufacture – CDCN Nouvelle Aquitaine pour une présentation parcellaire de sa saison 24/25. Morceaux choisis.

Autour de la notion de geste

« Cette année notre programmation est construite autour de la notion de geste :  physique, incarné, politique. Un geste à l’attention de l’autre. A La Manufacture, nous n’avons jamais pensé les saisons en fonction d’une thématique. Nous observons tout au long de l’année l’actualité chorégraphique puis nous essayons de l’analyser et de la redessiner dans toute sa diversité, dans toute la variété des regards des artistes. Le geste, pluriel et puissant, nous est apparu être le fil rouge de cette programmation.

Celle-ci est aussi une saison co-construite avec de nombreux partenaires avec en arrière-plan le dispositif « Mieux Produire Mieux Diffuser » mis en place cette année par le Ministère de la Culture. Cela a été assez complexe à appliquer au regard de toutes les attentes en termes de partenariats (que ce soit de la part des artistes ou des structures) mais cela nous a obligé à penser d’autres formes de coopération avec de nouvelles structures. Je pense à Sur Le Pont CNAREP à La Rochelle qui nous a sollicité pour la première fois autour d’un accompagnement de la compagnie poitevine Adéquate (que La Manufacture a par ailleurs accompagnée pendant une dizaine d’années) ou encore à La Maline, théâtre de La Couarde-sur-Mer (ile de Ré) qui participe, à nouveau, à notre festival POUCE.

C’est un projet audacieux que de « Mieux produire, Mieux diffuser ». Depuis bientôt 15 ans, de manière collégiale, les CDCN coproduisent un artiste à hauteur de près de 40 000 euros et lui offre la possibilité d’être diffusé-e dans nos 13 lieux qui maillent le territoire. (NDLR : en 2025, l’artiste Marcela Santander Corvalán et son Agwuas bénéficie de ce soutien)

 « Mieux produire, Mieux diffuser » pose la question de comment conserver une diversité artistique ? Arriver à mieux soutenir est une vraie complexité … surtout avec des budgets toujours plus contraints. Ceci étant, notre programmation propose astucieusement des parcours spécifiques autour de plusieurs artistes. »

Parcours d’artistes

« La chorégraphe Madeleine Fournier sera ainsi très présente cette saison. Notamment avec sa pièce « Branle » mais également lors d’un week-end dance ouvert à tou.te.s les amateur.trice.s. Ce temps d’enseignement artistique permettra de (re)découvrir le branle, cette danse à la fois populaire et savante. La pièce assez spectaculaire de Madeleine, avec une emprunte esthétique forte, recrée une salle de bal où évoluent 6 interprètes au plateau dont 2 danseuses de Nouvelle-Aquitaine : Mathilde Bonicel et Sonia Garcia ! J’aime la double lecture que propose « Branle », sa fine duplicité autour du mot branle qui parle certes de danse mais aussi du désir et de la jouissance. Un vrai parcours autour de cette artiste sera déployé : aux Avants Postes (Bordeaux), à la Villa Valmont (Lormont).

Un autre parcours va mettre en avant l’italienne Silvia Gribaudi. Nous la verrons de nombreuses fois en cette saison. Avec la pièce « Graces » au Liburnia puis avec « Grand Jeté » à la Scène Nationale d’Angoulême et Langon. Puis enfin avec « R. OSA » au festival Chahut, en juin 2025. Nous sommes très friands de sa recherche artistique sur l’impact social du corps, plaçant la comédie et la relation entre le spectateur et l’interprète au centre de son langage chorégraphique. »

Les femmes à l’honneur

« A La Manufacture, nous sommes très attentifs à la parité et cette année, les femmes chorégraphes sont bien plus représentées que les hommes. C’est un axe important de notre projet.

Nous accueillons – en septembre – Mette Ingvartsen programmée au FAB Festival International des Arts de Bordeaux Métropole avec « Skate Park ». Il s’agit là d’une grande forme qui récrée un skate park. La danoise y observe cette culture du ride avec 12 artistes au rapport variable à l’art vivant. On ne peut pas à proprement parler de danse et on vit là une expérience unique. Je vous la conseille.

Le mois suivant c’est Maud Blondel qui présentera « L’œil nu » que je résumerai en une forme assez stellaire. Je joue sur les mots car la jeune chorégraphe, pour sa cinquième création, associe le phénomène astrophysique des pulsars au souvenir sonore tragique de l’explosion du cœur de son père. Le geste y est d’une tactilité douce, comme sorti de nulle part ; la pièce déstructure l’espace. C’est à la fois rock et planant.

Et bien sûr n’oublions pas Anne Nguyen, notre artiste associée qui va rythmer notre saison (Anne Nguyen – (umoove.art).

Nous allons aussi accueillir la metteuse en scène Stéphanie Aflalo avec deux pièces consécutives. La première sera jouée à La Manufacture : « L’Amour de l’art », deuxième volet de sa détonante série de conférences performées imaginée sous le titre « Récréations philosophiques ». Le lendemain, Stéphanie jouera à la Maison des Arts de l’Université de Bordeaux « Live » où elle poursuit son travail de retournement des rituels sociaux, s’attaquant cette fois aux codes du concert pop. 

Vous dire aussi que nous sommes ravi-es de programmer « Plutôt vomir que faillir » de Rebecca Chaillon (en lien avec le TNBA nouvellement dirigé par Fanny de Chaillé) ou encore le superbement incarné « Black Lights » de Mathilde Monnier programmé lui au TNBA. Nous avons une belle histoire avec Mathilde puisqu’au-delà d’être notre présidente d’honneur, nous avons souvent joué ses œuvres. »

 

Cette année notre programmation est construite autour de la notion de geste : physique, incarné, politique.

Un geste à l’attention de l’autre.

Le geste, pluriel et puissant, nous est apparu être le fil rouge de cette programmation.

Et les hommes …

« Parlons des hommes un peu car ils sont bel et bien présents en cette saison. Nous sommes ravis de recevoir notre voisin bordelais Michel Schweizer qui avec « DOGS » offre nouvelle illustration de son travail avec la jeunesse. Il convoque ici sur scène un échantillon de jeunes invité·e·s à participer sous nos yeux à un grand jeu de société : une transposition ludique et néanmoins critique du grand jeu social.

Une découverte incroyable: celle de Fernando Anuang’a. Présenté à l’occasion du festival 30/30 à travers « We are Nomads », sa troisième création en solo inspiré des nomades massaï et de leur quête incessante de pâturages pour pouvoir vivre. Fernando est un danseur à la physicalité inouïe. La Manufacture, amoureuse des danses sociales et traditionnelles, ne pouvait qu’honorer le travail de Fernando. »

Le festival Pouce

« Notre festival jeune public va, encore une fois, engager toute l’équipe de la Manufacture cette année puisque nous y programmons plus de 40 représentations et accueillons 3 nouveaux partenaires (La Maline sur l’Île de Ré, le Glob Théâtre à Bordeaux et le Champ de Foire de Saint-André-de-Cubzac). Nous ne souhaitions pas forcément que POUCE prenne trop d’espace dans la saison du CDCN mais son succès nous rattrape. Cette année, le festival a une teneur politique. On y traitera de la décolonisation, de la grossophobie, de la spiritualité, de l’adolescence et son questionnement sur l’avenir … De nombreux rendez-vous et journées autour de l’art et la jeunesse vont s’ajouter à la programmation. Nous savons que ce moment sera le plus dense de la saison … mais nous avons aussi une nouveauté qui va mobiliser beaucoup de nos énergies : le programme Danse 360°. »

Danse 360°

« Nous lançons à la rentrée, comme un projet expérimental, le programme Danse 360° qui s’adresse à dix jeunes artistes chorégraphiques de toutes esthétiques visant des perspectives professionnelles dans le secteur chorégraphique.

Son enjeu : soutenir la professionnalisation et l’insertion de ces artistes en abordant sur une période de sept mois tous les types de compétences attendus dans le domaine professionnel de la danse. Il est destiné aux artistes chorégraphiques entre 18 et 30 ans, inscrit à France Travail. Les candidats devront avoir un projet artistique en tête, tout du moins une forme de pensée qui pourra être développée à nos côtés. 5 axes fort constitue Danse 360 :

Ce programme sera structuré autour de cinq axes :

– L’entretien et le développement techniques et artistiques en danse (diversité des pratiques corporelles et des processus artistiques)
 La transmission de savoir-faire et d’outils pédagogiques pour intervenir en médiation – EAC, etc. (hétérogénéité de publics, pluralité des outils)
 La connaissance de l’environnement professionnel (structuration de l’écosystème, cadres juridiques, pluriactivité, etc.)
 L’approche des outils et enjeux numériques (création de contenu, organisation des ressources, intelligence artificielle)
– La prise en compte des enjeux sociétaux dans la pratique chorégraphique (santé, transition écologique, sensibilisation au harcèlement et aux violences sexistes et sexuelles)

Le programme Danse 360° est gratuit, car financé par l’Union européenne et la Région Nouvelle-Aquitaine, dans le cadre du FSE et est accessible sur sélection de dossier dans la limite des places disponibles. La totalité du programme s’élève à 160 heures. Il sera composé de masterclass, work in progress, ateliers collaboratifs, séminaire, groupes de travail, ateliers théorico-pratiques, journées de sensibilisation, etc, qui se dérouleront à la Manufacture CDCN ou chez nos partenaires de la métropole bordelaise. »

Propos recueillis par Cédric Chaory

Visuel ouverture article : Graphisme Franck Tallon ; visuel Frédéric Demesure ; geste Sonia Garcia et Séverine Lefèvre

©Patrick Berger pour [Superstrat[ d’Anne Nguyen