D’une chapelle à l’autre, La Manufacture et le CCN de La Rochelle ont offert au public rochelais un premier regard sur deux œuvres en cours de création Eloge du déménagement de la compagnie Adéquate et Kid#1 de Joachim Maudet.

Il était bien encombré le trottoir du 20, rue Albert 1^er de La Rochelle ce 23 novembre. La compagnie Adéquate y avait entassé tout son barda, improvisant un emménagement/déménagement. Empilée dans des cartons le long des murs de la chapelle Saint-Vincent : toute une vie. Investir la rue pour questionner l’acte même du déménagement, moment dans une vie singulier et riche en émotions, telle est la teneur du nouveau projet du duo de chorégraphes poitevins Lucie Augeai et David Gernez avec cet Eloge du déménagement, en cours de création et déjà fort intriguant.

Ces deux-là nous accueillent comme des potes, devant l’entrée de La Manufacture. « Salut, merci d’être venu nous aider pour le déménagement, tiens voilà un carton. ». Le spectateur est alors chargé d’aller le déposer dans la chapelle, aidé en cela par un des interprètes. Au fil que s’amasse le public (très nombreux ce soir-là), une « forêt de cartons mouvants », s’érige. L’image est belle, suivie par une autre toute aussi saisissante : une maison qui dégueule des cartons, réceptionnés par une chaîne humaine. S’y incarnent l’urgence et la physicalité de ce moment utra-timé où biens et autres embarratio doivent être déplacés d’un point A à un point B en un minimum de temps. Les cartons volent dans les airs en même temps que les déménageurs-interprètes s’interpellent à coup de « Attrape ». Au fur et à mesure que la maison se vide, la forêt de cartons se fait de plus en plus touffue et quand nos déménageurs y improvisent, au son d’une batterie rythmée et entêtante, une danse très tonique aux accents jazzy, sa vélocité ne tarde pas à provoquer l’effondrement des piles de cartons. Une nouvelle séquence s’ouvre alors : celle d’une partie géante de Tetris consistant à construire, prestement, un immense mur de cartons. Fin de la sortie de résidence pour Adéquate, résultat de 3 jours de création fructueux pour une œuvre prometteuse.

« Un déménagement ça peut être douloureux, euphorique, physique … On sait ce qu’on quitte mais pas ce qui nous attend. On est vulnérable, seul avec ses affaires dans la rue … C’est toute cette palette d’émotions et d’états de corps provoqués par le déménagement que nous souhaitons questionner dans notre nouvelle création. » explique Lucie Augeai, experte sur le sujet tant elle a déménagé dans sa vie. Imaginé pour l’espace public, pensé comme une déambulation participative, Eloge du déménagement n’en est qu’à ses prémices et déjà le duo en imagine tout son développement : « C’est un sujet actuel, concret qu’on souhaite magnifier d’où le titre Eloge. Nous allons travailler sur l’inconfort des corps propre à cette activité. On aimerait aussi jouer avec le poids des cartons, leur sonorité ou la manipulation d’objets fragiles. » précise David.

« Justement, rebondit un spectateur, vos cartons sont bien propres, bien carrés. Généralement dans les déménagements on réutilise des cartons un peu fracassés par de précédents voyages. ». La compagnie acquiesce précisant que tous les cartons de cette création sont issus d’un mécénat et sont recyclés, et vont quelque peu se défraîchir au fur et à mesure de la création et des tournées.

« Nous continuons de collecter toutes les situations que peut engendrer un déménagement : le carton qui s’éventre car trop rempli, l’objet qui n’entre dans aucun carton, poursuit Lucie. A terme la pièce jouera sur différents rythmes oscillants entre urgence et temps de suspension, le tout encadré par la musique en cours de composition d’Etienne Soullard. »

Avant de quitter la Manufacture, la compagnie convie le public a shooté dans ce grand mur de carton qu’elle a érigé. Il s’y donne à cœur joie, tel un enfant. Justement l’œuvre (toujours in progress) qui est présentée à quelque pas de là – aux Mille Plateaux – CCN La Rochelle – aborde la thématique de l’enfance : KID#1 de Joachim Maudet. Encore une œuvre fort prometteuse.

Dans la continuité́ de sa recherche autour de la relation/dissociation du corps et de la voix, le chorégraphe joue des voix distinctes des corps, d’entités autonomes et indépendantes venant dialoguer, se mêlant et s’interposant avec le mouvement physique. KID#1, premier solo d’une suite de soli, nous embarque dans les intrigues d’une cour de récréation de collège, là où se trament bien des drames. C’est l’âge bête, le temps des copains, de l’aventure, de l’ennui, des journaux intimes et des métamorphoses. On se la raconte adulte, un adulte gringalet, tordu, rachitique, cruel, despotique mais les rites de l’enfance qu’on tente d’enfouir nous titillent toujours. Comme ce moment, où sur le tube eurodance d’Eiffel 65 Blue (Da Ba Dee), un ado échappe à l’ennui en se lançant dans une performance entre danse débridée et destruction en bonne et due forme du plateau. Un moment WTF où désœuvrement et rage d’exister se rejoignent, sensible incarnation des troubles états d’âmes de la jeunesse.

Joachim Maudet, aussi bon ventriloque que performer, saisit à la perfection la gaucherie des corps d’ados, dégingandés, plombés par l’ennui et perturbés par les bombes d’hormones lâchées dans un corps en mutation. Il campe très finement plusieurs ados mais aussi quelques adultes. Comme ce « pion » qui observe cette faune d’ados évoluant dans la jungle des récrés.

Les vingt minutes montrées ce soir-là laissent entrevoir une œuvre percutante, renvoyant à votre adolescence. Des mots oubliés refont surface : la papier Canson, le stick de colle U-HU, la calculatrice Casio … tous ces biens qui peuplaient les sac à dos EastPack ou JanSport.

« J’ai envie d’explorer toutes les possibilités physiques qu’offre le corps adolescent, en mutation, naïf et rebelle à la fois. Je traite aussi du harcèlement scolaire, sujet ô combien d’actualité. La cour de récré est peuplée de prédateurs, de suiveurs, de victimes, explique Joachim face à un public visiblement ému après ce premier regard sur la future pièce. Il y aura 17 personnages dans la pièce, tous inspirés par des documentaires que j’ai visionné, notamment « Récréation ». J’ai également beaucoup observé ma nièce actuellement tiraillée entre enfance et âge adulte. Et puis j’ai fait appel à ma mémoire. Je tente ici de retrouver mes états de corps d’adolescent. » La présence magnétique de son interprète, l’inquiétante étrangeté qui se dégage de Kid#1 donne irrémédiablement d’en voir plus. Il faudra attendre la création du solo en juillet 24 au Klap de Marseille.

D’une chapelle à l’autre, le public rochelais a voyagé ce 23 novembre : revécu ses toniques déménagements, entrevu son adolescence, morne ou joyeuse … et surtout rencontré des chorégraphes très inspirés. A suivre.

Cédric Chaory

©Filipf.o.t.o / A voir et à danser | un regard sur la danse contemporaine (avoiretadanser.fr)

COMPAGNIE ADÉQUATE – Lucie Augeai et David Gernez (adequatecie.com)

Aoza Production • Joachim Maudet (aoza-production.com