Rencontre avec Rebecca Journo autour de « L’Épouse »
Après avoir présenté sa fantasmagorique Épouse dans l’écrin de la chapelle rochelaise Saint-Vincent (de La Manufacture- CDCN Nouvelle-Aquitaine), la jeune chorégraphe Rebecca Journo a rencontré son public dans l’étonnant salon de thé-herboristerie Les Herbes folles. Où il est question des symboles qui unissent plante et femme, d’appropriation culturelle, de marionnettes et de micromouvements.
Magali Lugan, gérante des Herbes folles, vient de vous présenter plusieurs herbes et plantes directement inspirées de votre œuvre L’épouse. Laquelle vous attire le plus ?
Tout d’abord je tiens à dire que c’est totalement inédit de me retrouver dans cette herboristerie pour échanger avec vous autour de L’épouse. C’est la sauge qui m’interpelle le plus dans les herbes présentées, car elle est l’incarnation de la stabilité et de la purification et je pense que mon épouse en a bien besoin …
L’épouse est une mariée déchue, empêchée, prisonnière …
Oui, enfin tout est ouvert… On me parle souvent du mariage forcé, de toutes ces femmes qui, encore aujourd’hui, subissent leur condition. Pour être honnête je ne suis pas du tout partie de là mais cela arrive à contrecoup. Je suis plutôt partie de l’émotion, de la bipolarité … d’où mon choix de la sauge ! Je suis également partie de la contradiction, de l’absence, de l’échec, de la mort au sens spirituel du terme… de quelque chose qui dysfonctionnerait.
Je suis surtout partie du corps. À la base il y avait une marionnette. J’avais déjà en tête toutes mes images, mes références. Puis je suis devenue ma propre marionnette. C’était très pantomime aux prémices de la pièce comme une pratique du geste marionnettique puis j’ai insufflé tout ce dysfonctionnement. J’ai aussi beaucoup travaillé sur la base de vieilles photos de mariage qui arboraient des mariées tristes, des mariés froids. Cela m’a sans doute influencé, sans oublier Les Noces funèbres, le film de Tim Burton ou encore le prologue de Melancholia de Lars Von Trier. Ces deux films sont deux références puissantes de L’épouse. Bref, il y a plein de petites fictions qui se sont agglomérées autour du projet initial. J’ai travaillé sur les notions de forces contradictoires, sur l’avant/arrière, la marche, le fait de se faire tirer, pousser. Mais c’est intéressant d’entendre les multiples interprétations que soulèvent la performance.
Chaque lieu traversé présente t-il une épouse différente ?
Devant Notre-Dame de Paris, il y avait une solennité comparable à la chapelle Saint-Vincent de La Rochelle. Dès que j’entre dans un lieu religieux, cela décuple forcément la dramaturgie de cette déambulation ou marche nuptiale. J’ai performé dans des clubs, des caves, sur des plateaux, dans la rue, des halls… Chaque espace créé un contexte différent, son propre décor et ne raconte pas forcément la même chose dans une cave sombre ou sur un plateau face à un public concentré. La pièce est la même peu importe le contexte et le lieu, l’interprétation qu’on en fait, elle, se modifie en fonction de ce que l’espace met en exergue.
Vos publics sont donc toujours différents ?
Oui c’est un peu cela. Je n’ai pas toujours l’attention du public. Il m’est arrivé d’être face à des personnes, des auditoires, qui n’ont pas les codes du spectateur de performance, qui ne se soucient pas du tout de ce qui se passe sous leurs yeux. C’est intéressant pour moi qui suis « en représentation », je m’efforce de capter l’attention de certaines personnes. Je suis alors très dans l’empathie dans ces moments là… parfois cela ne fonctionne pas du tout et le public ne s’intéresse pas à cette femme … Il arrive qu’on parle, qu’on rigole autour d’elle ce qui rend la performance encore plus dramatique du coup. Cette épouse se retrouve définitivement seule.
J’ai joué dans un EPHAD spécialisé dans la maladie Alzheimer. Là encore le public était très différent. Il y a eu beaucoup d’interactions avec les personnes âgées, des interactions totalement différentes de celles attendues sur un plateau classique. Tous ces échanges me nourrissent. Je pense que la matière de L’épouse est propice à ces interactions. Je ne sais pas comment vous l’avez ressenti, ce soir, dans la chapelle, mais moi je vois bien que des petits duos s’installent au fil de ma déambulation. C’est très bref ces one-to-one. C’est comme un dialogue silencieux, un transfert d’émotions aussi. Si j’esquisse un sourire, on me le renvoie potentiellement.
Aujourd’hui le public porte le masque donc les émotions sont cachées. Avant je voyais les sourires, les peurs, l’effroi, la gêne, le rejet. Il y a un vrai jeu de miroirs qui s’installe selon l’attitude que je dégage. C’est passionnant à vivre et ressentir. Parfois j’ai l’impression que je dois réconforter le public. C’est moi qui instaure ce climat pesant mais c’est aussi moi qui doit dire au spectateur « rassure-toi tout va bien se passer, ce n’est qu’un spectacle ». (rires)
Quelle est la part de vous dans cette épouse ?
C’est difficile de répondre à cette question. D’autant plus que cette pièce se révèle être très politique in fine dans sa façon de dénoncer, notamment sur la question de l’appropriation culturelle. Je m’explique : ce n’est pas parce que je suis une femme que je peux questionner le mariage, forcé ou pas. Je ne suis pas mariée, je ne veux pas me marier, je ne connais pas le mariage forcé. Je me suis alors demandé avec L’épouse, comment se saisir de cette thématique tout en étant en phase avec ce que je suis. Comment porter avec sincérité, sans appropriation, récupération, ce sujet-là ? Ce sont des questions importantes pour moi. Cependant je sais que je peux incarner cette épouse, car le rapport que je mets entre le public et elle est vrai, sincère. C’est précisément ce que je mets en jeu pendant la performance et qui est au cœur de ma recherche : un dialogue silencieux, un échange indicible avec chaque personne. Je ne fais pas semblant.
Après dans toute représentation, il y a du vrai, du faux, du jeu, de la sincérité, une part de vous, une part de fictif. C’est difficile de cerner les contours. D’autant plus dans un personnage aussi marqué qu’une mariée. Par définition, une mariée est totalement en représentation. Ce jour-là est clairement La performance de sa vie.
Parlez-nous de votre gestuelle faîte de micros mouvements.
Je travaille sur du geste en déconstruction, cela m’amène à construire une figure qui se dégrade. Le corps amène à la dramaturgie. En fait j’avais une jupe dès le début de ma recherche. Cette sensation d’être empêchée sur le bas du corps s’est donc installée dès le début. Je me suis imposée d’autres contraintes dès le départ : le bouquet, les expressions du visage, les postures. Cela donne forcément un geste contraint. Le micro mouvement est une recherche au-delà la pièce d’ailleurs. J’aime jouer avec ma propre perception, avec celle du public, d’être sur cette ligne de crête de la précision, de l’émotion, de niveaux de couche, de tressaillement de muscles… c’est comme observer le geste au microscope.
Dernière question, plus légère : quid des fleurs qui composaient votre bouquet ce soir ?
En fait j’ai un rituel : chaque ville où je performe, je me rends chez un fleuriste proche du lieu de la représentation. Je discute avec le commerçant : du spectacle, de ses fleurs … j’aime ce temps d’échange. Bien souvent je prends une fleur assez morbide. À la Rochelle, je suis allée « Chez Marguerite », une très belle boutique de fleurs et j’ai jeté mon dévolu sur des alliums. Souvent la signification des fleurs entre en résonance avec la pièce. J’adore ces coïncidences. Il m’est arrivé de performer avec des roses mais c’est assez attendu. Une fois j’avais un bouquet de piments !
Magali Lugan : C’est intéressant que tu aies choisie des alliums. Cette plante de la famille des alliacées symbolise la transition, le passage d’un état à un autre. Question résonance avec L’épouse nous y sommes !
Propos retranscrits par Cédric Chaory, tire de l’after show de L’Épouse programmée le 9 décembre à La Manufacture CDCN La Rochelle.