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Déconstru(r)ire leurs discours
Le chorégraphe congolais installé au Sénégal Andréya Ouamba propose dans sa dernière création : J’ai arrêté de croire au futur… , de nous mettre face aux discours des hommes politiques du continent africain. Discours qui s’ils prennent parfois d’autres formes grammaticales, verbales ont pour fond un terrain commun avec ceux énoncés par les politiciens occidentaux. Le rapport au politique émane très souvent, pour les hommes qui y prétendent, d’un désir de pouvoir mêlé à un égo surdimensionné, délaissant la plupart du temps l’objectif principal qui leur incombe à savoir conduire une société et ses citoyens vers un développement individuel et collectif.
J’ai arrêté de croire au futur… , cherche donc à déconstruire le langage, les mots, les images, les tons, les intentions employés par ces chefs d’état, qui n’ont que faire de leurs semblables. Pour cette création, Andréya Ouamba a fait appel à une équipe artistique pluridisciplinaire. Se retrouvent sur le plateau, le compositeur et musicien Aymeric Avice, le comédien et auteur Sylvain Wakeu Fogaing, ainsi que les danseurs Clarisse Sagna, Fanny Mabondzo, Aicha Kaboré, Marcel Gbeffa, (tous les trois figuraient dans la distribution de Sueurs des ombres, la précédente pièce du chorégraphe présentée en 2013 au Théâtre des Abesses), et Jean-Robert Koudogbo. Comme dans Sueurs des ombres, les interprètes n’auront pas le loisir de sortir de scène.
Danseurs et musicien sont présents durant toute la pièce. Tous sur le plateau redoublent d’une énergie qui semble inusable. Omniprésence des corps en mouvements, des sons composés par le trompettiste. L’asphyxie survient très vite et ne fait que s’accentuer lorsque le comédien incarnant un chef d’état (de ceux qu’on a pu voir dernièrement au grand rassemblement citoyen du 11 janvier dernier à Paris), se lance dans ces fameux discours, à la mise en scène implacable. Gestes, paroles, sons se superposent les uns aux autres jusqu’à s’étouffer les uns les autres. Ici, il n’y a aucune place pour le silence. Logorrhée, verbiage sont de rigueur, sans doute le meilleur moyen d’endormir les foules. Le langage utilisé est pesé, mesuré. Les mots font référence à la figure du père, du guide : « la vie est rose à l’horizon, l’espoir n’est plus un rêve vous avez connu le messie ». Le je est employé de matière outrancière : « je suis le train de vos rêves ». Les références a un peuple en perdition si aucune main ferme ne le porte, sont légions : « ma façon si dure de vous conduire ne dépend pas de moi ». La corruption, la démocratie, le changement sont autant de thème abordés par ce discours écrit par l’auteur et comédien Wakeu Fogaing, qui l’interprète. Inspiré de réels discours dont les élites politiques de tous horizons et depuis nombre d’années abondent, ce texte use des systématismes et des tics de langage de beaucoup de dirigeants et met en lumière l’espace laissé par les citoyens.
Andréya Ouamba, artiste engagé, qui n’a de cesse d’aborder par la danse les injustices présentes sur le continent africain, nous interroge sur notre statut de citoyen. Sur notre part de responsabilité quant à la mise en place, l’installation, et ce parfois durant des décennies, de ce type de personnes au pouvoir. Si J’ai arrêté de croire au futur… , questionne cette faille. D’où l’intérêt de cette pièce. Cependant, elle l’évoque avec une certaine pesanteur. Comme dans Sueurs des ombres, les corps explosent, exultent, dégagent une énergie énorme. Mais plutôt que de dénoncer le discours formulé, elle l’étouffe. La superposition des sons, des gestes et paroles, évoquée précédemment paraît alors inappropriée. Elle a par contre pour effet une juste oppression. Car les corps entêtés de paroles officielles, abrutis de mots compassionnels, paternalistes, tendent petit à petit à se transformer jusqu’à vomir le discours étatique. Le corps soumis devient un corps lutteur, capable de chasser l’oppresseur, de le singer, de le lui renvoyer sa dimension clownesque.
Si les premières minutes de J’ai arrêté de croire au futur…, sont emplies de promesses _ figés en fond de scène, éclairés par une forte lumière blanche, les regards durs, droits, déterminés prêts à la confrontation, les corps figés, ancrés, les danseurs s’avancent tour à tour avec pour seule arme cette présence directe, engagée _ le propos de la pièce perd de sa force et de son impact par la surabondance d’informations et une absence de silence, sonore et visuel. Silence qui par contrepoint laisserait la place à la réflexion et à l’émotion.
Ses appréciations ne remettent pas en question l’engagement du chorégraphe et de son équipe artistique mais elles mettent en lumière la difficulté d’entrer complètement dans un propos tout à fait à propos.
Fanny Brancourt, Théâtre des Abbesses Paris (Octobre 2015)
©(DR)