
Avec Douga Siriman, le chorégraphe malien Abdoulaye Doumbia réinvente la mythique chanson du Douga en une pièce chorégraphique où traditions mandingues et danse contemporaine se rencontrent. Entre mémoire, justice et bravoure, le directeur de la compagnie Karadoum signe une création vibrante née malgré les défis du contexte malien. Dans cet entretien, il revient ici sur la genèse, les symboles et les enjeux de cette œuvre majeure.
Pouvez-vous nous parler de la genèse de Douga Siriman et de ce qui vous a inspiré à revisiter la chanson mythique Douga du Mandén ?
Musicalement, l’Afrique est un vaste patrimoine immatériel qui incarne sa beauté, sa force, ses braves hommes. Ses mystères et la sensibilité de l’homme africain. En Afrique, on chante pour tout : pour les événements sociaux, dans le travail, dans la douleur et la joie. Même pour la mort. La chanson porte une part de l’âme africaine.
Chaque communauté fut bercée par des chansons qui l’ont marquée et définie. Par la beauté de ses chants formant des variétés inclassables, l’Afrique a su, au moyen de la poésie da la parole, diversifier et glorifier les humains, la nature et les animaux. Au Mali, née à Méma, une province de Ouagadou, la mythique chanson de DOUGA SIRIMAN ne fait l’exception. Douga fut chanté par les griots du Mandén non seulement pour glorifier la bravoure des hommes et des femmes qui, par leurs exploits, se démarquent des autres mais aussi pour les présenter comme des modèles de vie dont les générations montantes peuvent s’inspirer. La chanson Douga est donc un acte d’encouragement et d’invitation au courage, une leçon de morale sociale qui prône la justice. A travers, les griots étaient chargés de révéler aux malheureux les raisons de leurs condamnations à morts.
Mon inspiration a revisiter cette chanson : Les griots du mandén, au travers le temps, et l’espace, chantèrent cette chanson, en louanges à la justice et au bravoure. Ainsi, dans ma vocation de placer les mouvements du corps humain au centre de ma créativité artistique. Et, pour contribuer à la revalorisation de nos patrimoines culturels africains. Telle est mon inspiration à revisiter la chanson mythique Douga du Madén en version danse contemporaine.
Le vautour (Douga) est présenté comme un symbole de justice et de bravoure. Comment cette symbolique se traduit-elle dans la chorégraphie et la mise en scène ?
Quatre danseurs dont deux femmes et deux hommes sur le son de la flûte (violon) prennent possession de l’espace scène pour une pièce percutante et vivante. Quand les gestuelles traditionnelles maliennes et contemporaines s’associent à des rythmes musicaux tradi-modernes, les chorégraphies peuvent devenir contagieuses. Un voyage où le corps devient mémoire, où les gestes ancestraux rencontrent l’énergie contemporaine, et où la mythique chanson Douga renaît sous une forme nouvelle, vibrante et universelle.
Donc, à travers le respect du genre (femme – homme), la force du corps et des mouvements, la mise en scène faisant l’image d’un mandén moderne sans oublié l’originalité des musiques. Tels sont certains des aspects qui traduit le symbole de la justice et de bravoure dans la chorégraphie et la mise en scène.
Danse contemporaine et rythmes tradi-modernes : Comment travaillez-vous le mélange entre danse contemporaine africaine et rythmes traditionnels modernisés ? Qu’est-ce que cela apporte à la pièce ?
Pendant un mois (du 1er au 30 septembre 2025) nous avons effectué une résidence de création chorégraphique et musicale au Centre du Développement Chorégraphique La Termitière de Ouagadougou. Après les premières recherches et développement chorégraphiques dirigés par le chorégraphe danseur Ousmane Béléme Koné, nous avons l’équipe pour la création musicale dirigée par Moussa Faissal Diarra. Nous avons eu le plaisir de travailler ensemble et en même temps sur la création chorégraphique et musicale. Les musiciens étaient inspirés par les mouvements des danseurs.
Vous parlez de moments de « résistance et de persistance, de courage et de confiance, de mésentente et d’entente, d’imagination et de créativité artistique » pendant la création. Pouvez-vous détailler ce processus et comment ces moments ont influencé le spectacle final ?
DOUGA SIRIMAN étant le premier grand spectacle de la compagnie KARADOUM en matière de ressources humaines, de ressources financières et sur le plan logistique : Malgré les difficultés financiers et sécuritaires, nous avons tenus à créer cette pièce après des reports. L’équipe a qu’à même eu le courage de parcouru en bus plus de 1720 Km (Bamako-Ouagadougou-Bamako) sous le risque d’insécurité que subit le sahel. Afin de pouvoir créer ce nouveau spectacle dans les meilleures conditions possibles.
Ce spectacle réunit des facteurs différents dont des générations différentes, des artistes de différents horizons (Mali-Burkina Faso-Côte d’Ivoire) et autres. De ce fait, nous avons rencontrés quelques difficultés au début de la création. Mais qu’on a surmonter avec courage. A noter que cette nouvelle création chorégraphique et musicale « DOUGA SIRIMAN » est le fruit des jours d’imagination et de créativité artistique.
Comment s’articule votre travail entre dramaturgie, écriture et chorégraphie avec Ousmane Belem Koné ?
Sur ce projet, j’ai effectué une résidence d’écriture en mai 2024 à la maison d’écriture Ahocco à Toulouse. Ousmane a fait la chorégraphie au cours de laquelle je suis intervenu sur la dramaturgie et la scénographie de la pièce.

Pouvez-vous présenter la compagnie Karadoum et son rôle dans la scène contemporaine au Mali et en Afrique ?
KARADOUM est une compagnie de danse contemporaine africaine installée à Bamako, la capitale du Mali. Elle est créée et dirigée par le jeune acteur et médiateur culturel malien Abdoulaye DOUMBIA. C’est une structure de recherche chorégraphique, de créativité, de production et de diffusion allant vers la danse contemporaine et la danse africaine et permet à la jeune génération, ainsi qu’à toutes personnes d’exprimer et de faire exprimer par la danse comme expression corporelle. Elle développe l’écriture chorégraphique, la production et co-production et la diffusion des spectacles et des performances.
La compagnie se donne pour objectif de faire la promotion de la culture malienne par l’art chorégraphique comme arme de lutte et moyen de développement. De permettre à la jeunesse malienne et africaine désirante d’évoluer dans le domaine de danse contemporaine africaine, de s’exprimer autrement mais émotionnellement. D’apporter l’art chorégraphique à tous par la médiation culturelle. De mener une dynamisation et un rayonnement professionnelle internationale et de développer la culture chorégraphique au Mali et ailleurs. Sa vocation est de faire de la danse contemporaine et africaine l’un des pions principaux de la promotion culturelle nationale pour l’internationale.
Vous avez des collaborations spontanées avec des artistes européens. Comment ces échanges internationaux enrichissent-ils votre travail et votre vision artistique ?
Depuis sa création en fin 2020 jusqu’à nos jours, notre compagnie n’a cessé de nouer de multiples collaborations avec les artistes qu’avec les professionnels européens. Cela se manifeste par des diffusions de nos créations chorégraphiques à des festivals, dans les théâtres, et autres. Aussi, ces collaborations européennes ont permis à la compagnie de mener des étapes résidences de créations, d’ateliers en danse africaines à travers nos passages en France, en Allemagne, etc. Personnellement, en tant que Directeur artistique de la compagnie KARADOUM et membre du Conseil International de la Danse auprès de l’UNESCO Paris, j’avoue que ces collaborations européennes me permettent de présenter et de discuter nos projets lors des colloques, rencontres professionnelles et autres à travers l’Europe.
Dans le contexte actuel de la danse au Mali, qui traverse des soubresauts politiques, comment parvenez-vous à maintenir votre créativité et vos projets ?
En effet, le Mali traverse des moments difficiles de son histoire politique qui touche le secteur de la créativité artistique. Certes, on n’est pas épargné, et c’est très difficile. Malgré, nous arrivons à maintenir notre créativité et nos projets grâce aux partenaires étrangers et locaux qui soutiennent nos projets.
Vous mentionnez que Douga Siriman est une invitation à revisiter nos racines et à questionner notre mémoire. Comment espérez-vous que le public africain et international réagisse à cette exploration ?
Le public étant le premier témoin de ce spectacle chorégraphique et musical « DOUGA SIRIMAN » qu’à travers les mouvements des corps et la forte sensation des musiques, il se sentira transporté et voyagé dans une culture africaine qui parle à l’universelle. En espérant également que le public africain et international se sentent plonger dans une motivation de découverte d’une histoire, une culture africaine raconté autrement.
Avec quatre danseurs professionnels sur scène, comment avez-vous travaillé sur l’énergie et la présence scénique pour rendre la pièce percutante et vivante ?
Qui parle de Douga « Le vautour » connait forcement sa force à occuper l’espace foret et tout chemin de son passage. Douga est un animal qui dégage beaucoup d’énergie. Ainsi, les danseurs dans un esprit de brave et des corps remplis d’énergie, localise toute la scène sur des musiques puissantes au son de la flûte (violon) pour rendre la pièce percutante et vivante. Ce spectacle traduit sur scène à la fois des moments vivants et des moments calmes.
Propos recueillis par Cédric Chaory
© Aboulaye Doumbia / @ « Douga Siriman » CDC La Termitière
- Le 13 décembre 2025 : Au grand théâtre du CDC La Termitière à Ouagadougou dans le cadre du festival « Dialogues de corps » au Burkina Faso.
- Du 3 au 6 juillet 2026 : Au festival international Wassa’n Africa de Launac en France.
