
Brumachon - Lamarche : une vie en mouvements
Pour les passionné·es de danse contemporaine, pour celles et ceux qui aiment entendre la création racontée par ses acteurs, pour les curieux de voir comment un duo conjugue vie intime et geste artistique : Une Passion dévoilée s’impose comme un récit incarné. Profondément humaine, vibrante et généreuse, la pièce de Claude Brumachon et Benjamin Lamarche mêle archive et aveu, danse et parole, pour écrire encore, dans l’urgence du partage, un chapitre de l’histoire chorégraphique.
Demain, ils tireront leur révérence avec Hors Normes, ultime création au goût de fin de chapitre. Mais en cette fin d’après-midi, Claude Brumachon et Benjamin Lamarche déroulent, fil après fil, les mailles d’une carrière hors du commun : quarante-quatre années de création, cent cinquante pièces, des tournées sur les cinq continents, vingt-cinq ans à la direction du Centre chorégraphique national de Nantes. Un pan entier de l’histoire de la danse contemporaine française.
Valises et tambours
À Biarritz, la chaleur écrase : trente-trois degrés pour un été indien sur le déclin. La salle du Colisée est pleine, surchauffée. Sur scène, des valises, des sacs de rangement, bric-à-brac mémoriel. Le couple s’installe côté jardin. Deux coups de tambour, pour commencer. « Faut bien commencer par quelque chose » glisse l’un des deux comparses. Commencer, oui : une histoire d’amour, une histoire de danse, une histoire de vie.
Retour en 1981, dans un studio parisien. L’Hexagone s’initie aux techniques cunninghamiennes et nikolaisiennes. Claude Brumachon donne alors la classe, Benjamin Lamarche entre dans le studio. Beauté fulgurante, insolence du talent. Coup de foudre. Ils ne se quitteront plus. Ils ont « cherché le chemin » et n’ont cessé de faire la route ensemble depuis. Concours de Bagnolet, premiers prix pour Texane (1988), œuvre-signal, où déjà éclate la signature Brumachon : une gestuelle acérée, pulsionnelle, proche de la transe. Une danse de ruptures et de jaillissements, charnelle jusqu’à la douleur, où la fragilité affleure.
Avant cela, il y a eu le tout premier duo, costumé par la mère de Claude avec un improbable body de laine multicolore, souvenir qui prête à sourire, surtout sous la moiteur basque. Incontestablement, Claude et Benjamin ont le chic pour nous raconter leur vie mais comment raconter la naissance de leur grammaire singulière ? Faîtes ainsi au plateau : parler d’images — un oiseau, une montagne, un rapace, une sensation suspendue et déjà naît le mouvement sur scène. La grammaire avec elle.
Puis vient la mise en orbite : Texane installe le style. Suivent Folie (1989), quinze danseurs emportés dans le sauvage et l’excès. Icare (1996), solo éprouvant que Benjamin interprète jusqu’à la lie et enfin des créations pour de grandes compagnies, des collaborations, des tournées, et la responsabilité d’un des premiers CCN de France.
Une histoire racontée
Avec Une Passion dévoilée, Claude et Benjamin ouvre grand la boîte à souvenirs dans une conférence dansée au format long (1h30 oui nous pouvons parler de format long !), entre confidences et extraits, où ils parlent autant qu’ils dansent dans un décor minimaliste : chaises, valises, accessoires de mémoire. Les lumières et son, en complicité avec Denis Rion et Christophe Zurfluh, sculptent, elles, les atmosphères.
Chaque geste rappelle une pièce, chaque mot ouvre un souvenir. Dans ces valises, des costumes : vestiges de décennies de création où la nudité fut également présente. Ils s’en amusent, s’en émeuvent. Benjamin, sexy sexa, se prête au jeu de l’exhibition d’un corps tonique. Claude, avec humour, précise : « Non, ce soir, je ne me sens pas de danser nu. » L’émotion, elle, circule à vif.
Questions en suspens
Futée, la pièce ne se contente pas d’une rétrospective. Elle interroge un milieu. Que faire du répertoire ? De la course à la création pour alimenter une machine inarrêtable ? Que dire des hiérarchies in/out imposées par le public et les médias ? Des budgets contraints qui forcent à réduire l’ampleur chorale et pousse à créer de faméliques duo ou trio ? Des corps vieillissants, empêchés, censurés parfois par des élus de plus en plus frileux voire fascistes (« Cachez ces corps nus ! »). Le couple souhaite mettre ces questions en lumière, car les générations futures de chorégraphes devront y répondre. Mais plus que tout, eux tiennent à poursuivre, envers et contre tout car si Une Passion dévoilée garde un parfum d’adieu, il n’en refuse pas moins le point final.
« On continue, on arrête, on continue, on arrête, ON CONTINUE… » Sous leurs peaux brûle encore l’envie.
Cédric Chaory
© Laurent Philippe
Vu au Théâtre du Colisée de Biarritz le samedi 6 septembre 2025