
Van Acker à la Collection Lambert : performance sous soleil blanc
raverser les salles fraîches de la Collection Lambert — où l’exposition Même les soleils sont ivres célèbre Avignon Terre de culture 2025 — c’est déjà se préparer à un voyage sensoriel. Inspirée des écrits lumineux d’Albert Camus et des photos d’Henriette Grindat, cette exposition interroge notre lien intime à un territoire et à un climat où la lumière, le vent et la chaleur façonnent notre perception.
Dans cette atmosphère brûlante et poétique, Cindy Van Acker déploie ses Impromptus, formes chorégraphiques vivantes, contextuelles et éphémères. Ici, pas de spectacle figé, pas de scénario préécrit : chaque performance naît de la rencontre avec une œuvre choisie le matin même et se nourrit des hasards du lieu, de la lumière, des corps et du public.
Un art de l’instant présent: Dans la cour minérale de l’hôtel de Montfaucon, chauffée à blanc par les 37°C de juillet, le marbre renvoie la lumière jusqu’à l’éblouissement. Lunettes de soleil vissées sur le nez, le public s’installe, surpris par ces silhouettes en tenue de ville, déjà présentes, déjà en action — ou plutôt en attente. Deux interprètes s’allongent, yeux voilés de mouchoirs blancs, deux autres se postent à la frontière incertaine de l’ombre portée. Autour, le chant des cigales couvre presque les enceintes d’où suintent les mots : un abécédaire sonore égrainé, fragile et hésitant, de « agitation » à « guerre ». Le temps se dilate, la chaleur s’infiltre dans chaque pore, l’immobilité devient un geste à part entière.
Une lenteur habitée: Danseuse formée à la rigueur classique avant de tracer sa propre voie depuis plus de 25 ans, Cindy Van Acker est connue pour une écriture du geste précise, presque chirurgicale. Ici, on retrouve sa signature : la lenteur, la géométrie, l’attention extrême aux détails, la polyrythmie interne du corps. Rien n’est démonstratif. Ici, l’agitation cède la place à une présence qui se laisse traverser par la lumière, le son et l’espace. Comme si l’on regardait le temps s’étirer sous nos yeux.
Une performance unique à chaque fois: Une fois la litanie achevée où nous furent récité parfois ânonné quelques aphorismes — jusqu’à la lettre T — la musique classique s’installe, solennelle, presque funèbre. Comme un rappel à notre finitude sous ce soleil écrasant. Les corps, enfin, s’activent. Lentement, ils échangent leur place, rejouent une chorégraphie minimale (une marche de quelques pas, point barre), tandis que l’énumération reprend. Rien n’est figé : demain, un autre tableau surgira peut-être, inspiré d’une autre œuvre de l’exposition ou d’un autre coin d’ombre.
Cette radicalité de l’instant est au cœur du projet. Les Impromptus sont nés en 2023 à la Fondation de l’Hermitage à Lausanne, à partir d’une immersion dans l’univers du peintre Léon Spilliaert. Depuis, Cindy Van Acker les conçoit comme un laboratoire vivant, un « contrepoint » à ses créations scéniques : pas de production lourde, pas de répétition à l’identique, mais une écriture qui se réinvente à chaque lieu, chaque climat, chaque public.
Une relation renouvelée au public: Ce qui frappe, c’est la proximité. Ni scène, ni projecteurs. Les interprètes partagent le même espace que nous, exposés aux mêmes rayons, à la même poussière blanche. Le public arrive par grappes, surpris de trouver de la danse au détour d’un mur de marbre ou dans un coin de cour chauffé à blanc. La performance surgit, comme un mirage, puis disparaît. C’est une bouffée d’air, une fissure dans le béton brûlant du quotidien.
Un chant pour demain: Au fond, sous le soleil d’Avignon, ces Impromptus ressemblent à une mise en garde silencieuse. Les corps statiques, qui transpirent sous le ciel implacable, disent quelque chose de notre inertie face au monde qui s’échauffe. Ils font résonner l’idée même de « soleil ivre » de Camus : une beauté qui éblouit jusqu’à nous consumer. Comme pour nous murmurer : « Regarde bien ce qui arrive. » Et pourtant, de cette lenteur naît une force : celle de prendre le temps. De respirer. D’écouter. Et de voir, pour un instant, le monde autrement. Performatif que cet impromptu, déceptif aussi et à la limite ce jour du danger: diantre que de sueurs coulantes et de peaux rougies !
Cédric Chaory.
Vu le lundi 14 juillet 2025 à la Collection Lambert dans le cadre de On (y) danse aussi l’été – Les Hivernales CDCN d’Avigno