
Espaces Pluriels, toutes les danses
Christophe Chanut signe pour Espaces Pluriels, scène conventionnée de Pau une saison danse de haute intensité, vaste terrain de jeux pour les corps, les imaginaires et la fête collective. Détail d’une programmation dense.
Il fallait bien la puissance du plateau du Zénith pour ouvrir ce cycle incandescent : le CCN – Ballet de Lorraine y déploie vingt-quatre danseur·euse·s à l’énergie inépuisable dans Static Shot de Maud Le Pladec et A Folia de Marco da Silva Ferreira. À la tête du Ballet de Lorraine depuis janvier, Maud Le Pladec signe une pièce à la croisée du cinéma et de la danse, où les corps montent comme une vague et retombent sans jamais rompre la tension. Marco da Silva Ferreira, quant à lui, propulse une fête tribale d’inspiration portugaise, réinventant la Folia Renaissance en transe contemporaine. Battements de pieds, battle, clubbing, électro : la joie y est un cri collectif, un héritage en mutation.
Sylvain Huc au fil de la saison
Au-delà du grand plateau, la danse prend possession de la ville. Place Récaborde, la Block Party orchestrée par Jann Gallois est une promesse de fête : après le souffle brut des jeunes danseur·euse·s formé·e·s par Sylvain Huc – artiste de compagnonnage en cette saison – sur In Between, les pas de break et de popping se partagent au grand air. Ici, toutes les générations se retrouvent pour goûter aux racines du hip-hop, sous l’œil expert de Claire Moineau et Razy Essid, galvanisés par les mix de DJ Davy Jones.
Au fil des mois, chaque projet chorégraphique proposé est une percée sensorielle. MazelFreten, fer de lance de la scène électro, revient à Pau avec Rave Lucid : dix danseur·euse·s capturent la rage et la communion des raves. Leurs bras tracent des lignes vives comme des néons dans la nuit, la sueur devient manifeste politique et poème collectif. Même puissance de contestation chez Hillel Kogan et Mijal Natan avec Thisispain, un duo flamboyant où flamenco et clichés ibériques se mêlent à un humour corrosif. Les corps y sont satire, tragédie, carnaval.
Sur un versant plus intime, Hold Fast réunit Marion Alzieu et le krumper Mickaël Florestan pour un dialogue tendu entre la danse contemporaine et l’ardeur viscérale du krump. Les gestes s’y débattent avec tendresse et défi, transformant l’obstination en acte de consolation. À l’opposé, Sylvain Huc expose dans Sujets la nudité comme matière et fragile territoire. Les interprètes, portés par la musique hypnotique d’Alessandro Cortini, s’étreignent, s’échappent, se fondent dans un flux continu de chair et de lumière.
Au registre du jeune public, Gilles Baron fait surgir le mythe dans Aïon, conte chorégraphique où danse, jonglage et acrobatie revisitent Chronos, Kairos et Aïon. Il y a dans ce trio de dieux une poésie de l’instant, comme une invitation à suspendre le temps. Même esprit joueur chez le Collectif ÈS : avec About Lambada, la piste de danse se transforme en terrain pop, revisitant le tube de Kaoma comme un manifeste joyeux pour l’inclusion et la liberté des corps.
Elans féminins
Partout, la saison est traversée d’élans féminins puissants. Dans Imminentes, Jann Gallois façonne un chœur de six interprètes, à la fois sorcières et déesses, qui puisent dans le hip-hop une langue viscérale pour défier la noirceur du monde. Une marée humaine, tendre et insoumise. Plus resserrée, La Vie Nouvelle de Sylvain Huc et Mathilde Olivares offre une extase profane : deux corps, une lumière, une musique, et la danse surgit comme un pur miracle de présence.
L’écriture solo, enfin, trouve deux échos marquants : Jimmy de Pierre Pontvianne, où Jazz Barbé se meut dans une reptation hypnotique, figure d’un Autre fantasmatique et insaisissable ; et Comme un symbole d’Alexandre Fandard, où un jeune homme seul, ancré au sol, se débat avec tous les stigmates projetés sur lui. Banlieue, violence, désir : le corps devient territoire politique.
Slow Rizzo, Rapide Benne
À l’autre bout du spectre, Christian Rizzo imagine, avec sa nouvelle création, une suspension délicate où les gestes du quotidien s’épaississent de sens. Sept interprètes s’y adonnent à l’ordinaire comme à un rituel poétique, faisant de chaque geste une clairière de lenteur. Et Bruno Benne, nouvelle étoile de la danse baroque, ouvre un autre espace de fluidité avec Rapides, merveille délicate inspirée de Haendel où la rigueur se fait ruisseau, où la virtuosité se fait joie.
Ici, chaque pièce est un seuil ouvert vers l’inattendu. Une traversée entre rave et baroque, entre nudité et rituel, entre héritage populaire et écriture exigeante. Christophe Chanut affirme un projet incandescent : faire de Pau un archipel où la danse circule, déborde, bouscule — et nous rappelle que, sous nos pas, le monde peut encore danser.
Toute la programmation détaillée sur ce lien : Tous les spectacles – Espaces Pluriels
Cédric Chaory
© Loran Chourrau