Dominique Rebaud présente "Cinédanse: 50 films culte"
Le mot cinédanse, selon Nicolas Villodre, est le plus simple, le plus commode pour traiter d’un corpus de films contenant de la danse, voire entièrement consacrés à l’art de Terpsichore. Traces ont été gardées d’un bon nombre de ces films dont certains datent du début du cinématographe. Ce qui signifie qu’aussi bien la danse que le film seront considérés comme des arts à part entière, sans domination de l’un par l’autre. Cinédanse : 50 films culte propose un florilège de cette discipline méconnue. La chorégraphe Dominique Rebaud, co-auteure de l’ouvrage, en dévoile la conception.
Cinédanse : 50 films culte fait en partie écho à la collection de films de danse initiée en 1983 à la Cinémathèque française par Patrick Bensard. Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce livre ?
L’idée du livre est partie d’une réunion des amis de la Cinémathèque de la Danse qui a eu lieu dix ans après son absorption en 2012 par le CND. D’une certaine manière cette collection a trouvé une nouvelle forme de vie en intégrant les étagères de la médiathèque du centre national de la danse où elle côtoie désormais les livres. Avec Nicolas Villodre a donc germé l’idée de rendre hommage à ce médium qui partant à la fois de la danse et du cinéma crée un nouvel art. Cet ouvrage s’intègre dans une réflexion de plus en plus féconde, aux côtés notamment de thèse comme celle de Sophie Walon. Nous avions avec Nicolas la volonté de proposer un ouvrage grand public qui permettrait de découvrir la diversité du cinédanse tout comme sa riche histoire. Aussi Cinédanse : 50 fims culte brasse la période 1894/2005.
La rencontre avec Michel Guillemot, directeur des Nouvelles Éditions Scala fut déterminante pour mener à bien notre projet. J’apprécie cet éditeur qui est toujours attaché et attentif à développer un fil à la thématique précise autour d’une personne, d’une notion, de surcroît bien souvent autour de l’art chorégraphique, champ souvent délaissé par les éditeurs. Et puis ces parutions travaillent à une esthétique élégante. Recevoir les divers BÀT au fil de la conception du livre fut grisant. Je peux dire que durant 5 ans, j’ai trouvé passionnant de travailler à ce livre.
Une sélection de 50 films donc qui couvrent la période 1894/2005. Comment opère-t-on une sélection ?
Cela prend énormément de temps et nous en avons rédigé des listes mais nous étions finalement souvent d’accord avec Nicolas sur les choix opérés à quelques exceptions près. J’ai trouvé intéressant ce système de classification que nous avons opéré en 6 parties (capture, récit, fondamental, expérimental, actuel, musical) car, plus qu’une simple liste, il nous fallait trouver une voie pour parler et mettre en perspective ces œuvres si diverses. Et puis ça aide à trouver un certain équilibre pour ne pas choisir que des musicals ou des films expérimentaux, des œuvres américaines ou européennes… Vous savez on aurait pu intégrer 150 films mais comme le dit si bien Patrick Bensard les 50 choisis ont « un je ne sais quoi », une magie inexplicable qui les fait s’imposer.
Comment s’est orchestrée votre collaboration avec Nicolas Villodre ?
Nous nous sommes répartis les tâches assez aisément. En fonction de nos divers réseaux constitués dirons-nous depuis la fin des années 70 – moi de chorégraphes, lui de chercheurs ou encore journalistes – nous avons su trouver les 39 auteurs qui ont rédigé les textes. Il y a cependant un troisième collaborateur très actif à ne pas négliger en la personne de Michel Guillemot.
Nous souhaitions que les auteurs participent à un décentrement, terme « nikolaïen » dirais-je. C’est-à-dire recueillir la parole de Carolyn Carlson sur un film d’Ed Emshwiller ou encore celle de Catherine Diverrès à propos de Kazuo Ohno film de Daniel Schmid (1995). On s’éloigne ainsi de la parole de celui qui a « fabriqué », provoque un autre point de vue éclairé où la parole se libère sans doute un peu plus. Tous les points de vue sont ici importants notamment ceux des chorégraphes. Je craignais notamment que cet ouvrage fasse la part belle au ciné(ma) et moins à la danse. En effet quelle place peut avoir la danse face au pouvoir de fascination du cinéma, de l’image ? Daniel Larrieu en parle avec intelligence dans son texte à propos de Quai Bourbon, film de 1986. La cinédanse est un entremêlement dans la fabrication, cela épouse à la fois les techniques de la danse et celles du cinéma mais je crains toujours qu’une déperdition de la danse s’opère in fine une fois le projet monté, que le cinéma domine. J’ai donc été très attentive à ce que la danse soit bel et bien présente. Pascale Houbin nous explique son Petit Bal … les femmes justement, là aussi je craignais qu’elle soit invisibilisée car le cinéma est un univers dominé par les hommes. Aussi il m’a fallu être vigilante sur l’équilibre auteur/auteure, réalisateur/réalisatrice.
Cette histoire de la cinédanse se clôt, dans votre ouvrage, avec Rize de David LaChapelle, tournée en 2005. En 20 ans, cet art n’a cessé de créer. Quel regard portez-vous sur son actualité ?
Si nous avons tenu à publier Cinédanse : 50 films culte c’est justement pour que génération actuelle s’empare de ce médium, en connaisse son histoire. Je regarde avec beaucoup d’attention ce qu’Internet propose aujourd’hui en cinédanse. Le web fait circuler un nombre ahurissant d’images d’archives. C’est une toile immense où chacun peut trouver de la matière sur le sujet qui le meut. Moi, par exemple, c’est le swing. La génération actuelle de réalisateurs et réalisatrices de cinédanse est incroyablement inventive et très spontanée. J’aime leur manière de faire rencontrer, transformer les choses et de créer un nouvel objet. Je pense à Vincent Moon dont j’aime les films-performances résolument décloisonnées, qui jettent des ponts entre musiques religieuses, expérimentations électroniques, jazz improvisé, noise ou encore body-art. Les ciné-bals qu’il a donné à La Philharmonie sont également une expérience inédite entre contemplation, danse et voyage intérieur. Il y a aussi le collectif (LA)HORDE qui a rencontré le succès en travaillant sur la danse post-internet, sur tous ces tutos de danse urbaine qui peuplent les réseaux sociaux. Bref cette jeunesse est la grande héritière des artistes dont nous parlons dans notre ouvrage.
Avez-vous songé, dans le cadre de la promotion de cet ouvrage, à réactiver la diffusion de ces précieux cinédanse, à organiser des soirées thématiques ?
Tout à fait, il y a en a déjà une de programmée, dans le Tarn, le 28 mars. Dans la salle de spectacle Rond-Point de Labruguière. Le Conservatoire de musique et de danse du Tarn et L’ADDA du Tarn se sont associés pour inventer une soirée originale comprenant des spectacles-performances, des films, des rencontres. Il est prévu que le chorégraphe Pedro Pauwels y danse son solo Mr Slapstick, autour de Buster Keaton. Sans doute que cette soirée en appellera d’autres. Je l’espère.
Propos recueillis par Cédric Chaory