Raphaëlle Girard, les temps danse de sa saison

Umoove a rencontré au printemps dernier la nouvelle directrice du TAP – Scène nationale de Grand Poitiers : Raphaëlle Girard. Le Festival À Corps battait alors son plein. Occasion rêvée, pour l’intéressée, de parler danse et de la programmation 24/25 à venir. Entretien.

Alors que le Festival À Corps 2024 touche à sa fin, je viens recueillir les premières impressions sur vos débuts à Poitiers ?

Cela fait maintenant presqu’une année que je suis entrée dans la belle histoire du TAP. J’ai connu ce théâtre à travers le Festival À Corps en y venant notamment deux fois en tant que professionnelle de la danse. Immédiatement, j’ai adoré ce lieu. À l’heure où je vous parle, rejoindre le TAP est encore un rêve au quotidien. Je porte l’incroyable saison imaginée par mon prédécesseur (NDLR : Jérôme Lecardeur). Avant de recevoir la bonne nouvelle de ma nomination à Poitiers, j’avais imaginé rester dans les murs de la scène conventionnée que je dirigeais alors – le Rive Gauche – jusqu’en janvier 2024, car nous y fêtions les 30 ans de ce théâtre qui m’est cher mais une fois nommée, j’ai rejoint Poitiers dès l’ouverture de saison 23/24. Je savais qu’il me fallait vivre une saison entière pour observer, commencer à m’organiser, faire connaissance avec l’équipe.

C’est effectivement un immense théâtre que vous dirigez aujourd’hui …

Tout à fait. Il y a eu dès les premiers mois beaucoup de travail de réorganisation pour que celle-ci corresponde à mon projet. J’ai aussi rencontré en partie les nombreuses compagnies régionales que je ne connaissais pas, le tissu artistique régional étant très dense.

Heureusement, je suis épaulée par un super président Jean-Claude Martin (remplacé aujourd’hui par Thomas Allain-Launay) et peux m’appuyer sur une équipe permanente qui aime définitivement cette maison. Cette équipe possède une belle capacité de travail incroyablement contrôlée que ce soit en communication, en médiation ou encore à la technique et c’est bien évidemment confortable pour moi. Oui, c’est un immense théâtre et je ne vous cache pas que je fais le grand saut en dirigeant une entreprise de cette envergure mais un saut en toute sérénité.

En vous inspirant de votre projet développé pour le TAP L’art sur la ville – projet de renouveau artistique, d’ouverture, de rencontre et de convivialité – vous axez votre programmation sur la musique. Quid de la danse ?

La musique, tout comme le cinéma, est dans l’ADN du TAP. Je vais quelque peu réorienter le lieu vers la musique dite de création et laisser les deux SMAC de Poitiers (NDLR : Jazz à Poitiers et Le Confort Moderne) reprendre le flambeau des musiques dites actuelles. Les musiques classiques et contemporaines seront toujours bien représentées avec notamment nos trois ensembles musicaux en résidence permanente : L’ensemble Ars Nova, l’Orchestre des Champs-Élysées et l’Orchestre de Chambre de Nouvelle-Aquitaine. Nos artistes associé-es travaillent aussi la question des liens entre la musique, le cinéma et les autres arts vivants : Clément Lebrun, Jean-François Sivadier ou encore Isabelle Huppert.

Justement à propos de la danse, parmi nos artistes associé-es se trouvent la jeune chorégraphe Rebecca Journo et son acolyte créateur sonore Mathieu Bonnafous.

Avant de poursuivre sur la danse :  arrêtons-nous sur … Isabelle Huppert !

(rires) … Isabelle Huppert est ma bonne fée. Elle est très importante dans mon parcours. Je la connais depuis de nombreuses années. J’étais, pour tout vous dire, son chauffeur sur bon nombre de ses films. Elle m’a toujours encouragée dans mon désir d’évoluer dans le milieu des arts vivants. Nous nous sommes perdues de vue puis retrouvées… elle sera bien évidemment une artiste associée à part car son emploi du temps ne lui permet pas une présence optimale sur Poitiers.

Revenons à la danse. En tant que directrice d’une scène nationale, quel rapport entretenez-vous avec cet art ?

Il est un de mes piliers. Dans mon parcours, j’ai été secrétaire générale du Toboggan, « scène conventionnée plateau pour la danse » à Décines, puis de Pôle en scènes, regroupant le Centre chorégraphique Pôle Pik et l’Espace Albert Camus à Bron. J’ai également travaillé au Centre de développement chorégraphique national à Toulouse.

À Poitiers, j’ai conscience de l’importance du Festival À Corps, il correspond parfaitement à ce que j’imagine de la danse. J’ai un spectre très large dans ma vision de la danse. Aussi cette année, le public poitevin verra aussi bien du Jean-Claude Gallotta que du Maguy Marin. Tous deux font partie de l’histoire de la danse mais incarnent des styles bien différents qui me meuvent tout autant. Jean-Claude propose avec Cher Cinéma une « danse dansée ». Ces dernières pièces témoignent d’une belle inventivité dans la veine de ses débuts tonitruants. Je pense notamment aux pièces Pénélope (2023) ou encore Le jour se rêve (2020).

Quant à Maguy Marin, je reste fascinée par cette femme qui décoche à chaque œuvre un véritable coup de poing. C’est l’art qui parle, l’art qui dénonce. Avec DEUX MILLE VINGT TROIS, qui sera diffusé dans Festival À Corps, elle met vertigineusement en scène une accumulation de la parole politique, tour à tour effroyable et stérile. Il y a seulement 1 minute de danse dans cette création, le reste n’est que déclamation et manipulation d’objets c’est tout simplement magnifique. Cette artiste est une punk. Une punk d’un âge certain qui ne lâche rien de ses idéaux. J’ai conscience que nous ne pourrons pas vendre cette pièce comme un ballet, il nous faudra faire œuvre de médiation et communication pour ne pas froisser. J’ai aussi conscience que, sans doute, quelques fauteuils et portes claqueront mais c’est aussi ça l’art. C’est aussi ça le Festival À Corps et ça me plaît ainsi.

Festival À Corps justement. Allez-vous repenser ce temps fort tant aimé du public poitevin ?

Pour ce festival de danse, je souhaite développer un fort axe sociétal et politique. Sans vous dévoiler toute la programmation (NDLR : interview réalisée le 12 avril 2024, la programmation est depuis sur le site du TAP), je vais programmer Samaa Wakim. Avec Losing it, elle nous raconte sa vie passée dans une Palestine en guerre. Toute en résilience, le spectacle pose la question d’un corps qui a grandi sous les bombes.

Je m’intéresse aussi beaucoup aux personnes en situation de handicap, et nomment la place qui leur est réservée au plateau. C’est pourquoi je programme Alice Davazoglou, danseuse porteuse de handicap et qui signe là sa première pièce en faisant danser dix chorégraphes valides. Et pas n’importe lesquels : Gaëlle Bourges, Mickaël Phelippeau, Bruce Chiefare ou encore Béatrice Massin.

Le Festival À Corps 2025 va pousser encore un peu plus le curseur de la pratique amateure, universitaire et dans l’espace public. Sur la dernière édition, nous avons tous pu nous rendre compte à quel point les étudiants ont atteint un niveau de pratique exceptionnel et je veux vraiment que le public ne fasse plus du tout de distinction entre spectacle professionel et spectacle amateur. Pour l’édition 2025, le chorégraphe Michel Schweitzer dirigera l’Atelier de recherche chorégraphique.

Un chorégraphe bordelais ! Vous sentez-vous vous proche de la scène chorégraphique de la Nouvelle-Aquitaine ?

Tout à fait. Je programme d’ailleurs cette année Bezperan du collectif bayonnais Bilaka ou encore la bordelaise Karelle Prugnaud et son réjouissant On purge bébé. Et je contiunue à découvrir encore la scène artistique de la région.

Pour conclure quelques mots sur Rebecca Journo, votre chorégraphe associée.

Depuis que j’ai découvert cette jeune chorégraphe, elle ne cesse de m’épater. Il y a une modernité chez elle qui me grise. Sa manière d’être, sa danse ultra contemporaine mais accessible, sa façon de poser son regard, son corps, son mouvement… L’Épouse et La Ménagère sont des spectacles qu’on n’oublie pas.

Rebecca semble sortir de nulle part mais n’oublions pas sa solide et iconoclaste formation. Elle est de ces artistes qui sont sans concession et j’aime cette trempe-là. Lorsque je lui ai annoncé qu’elle serait notre artiste associée, elle a tout de suite accepté… et aussitôt parlé du Confort Moderne. N’oublions pas qu’elle entretient un rapport très fort avec la musique via son compagnonnage avec Mathieu Bonnafous. Elle jouera d’ailleurs Les amours de la pieuvre dans cette illustre SMAC poitevine.

Nous diffuserons certainement Canicular, son Sujet à Vif qu’elle a créé en juillet à Avignon mais pour l’instant Rebecca souhaite se concentrer sur la recherche. Nous lui offrons donc un accueil-laboratoire pour qu’elle prenne le temps.

Propos recueillis par Cédric Chaory

©Arthur Péquin

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