Mathilde Monnier

Mathilde Monnier et ses femmes puissantes de "Black Lights"

Création inspirée de la série H24 diffusée sur Arte, Black Lights dénonce les violences quotidiennes sexistes faîtes aux femmes, entre stand-up féministe et déclaration poétique. Une pièce coup de poing signée Mathilde Monnier, toujours aussi indisciplinée que pluridisciplinaire. Entretien.

Black Lights émane de la série télé H24, elle-même inspirée de 24 récits d’écrivaines de renom. Comment vous êtes-vous nourrie de ces créations pour votre propre pièce ?

Effectivement ma pièce est née de ces créations : la série H24 de Nathalie Masduraud et Valérie Urrea qui composent ici leur première fiction condensant 24 films courts audacieux, d’après les textes de 24 autrices européennes, interprétés par 24 actrices d’exception. Lors de sa diffusion j’ai été saisie par le propos et la diversité des voix et de talents engagés. Cette diversité permet d’appréhender le déroulé d’une journée dans la peau d’une femme, confrontée à de nombreuses violences systémiques, sans toujours les dépeindre frontalement. C’est éclairant et j’ai eu envie de m’appuyer sur certains des textes pour ma nouvelle création. Pour Black Lights, j’ai donc procédé à un choix de 9 textes sur les 24 existants. J’ai retenu les plus « scéniques », les plus directs, ceux en lien avec un interlocuteur, ici le public. Je trouvais important que cette parole puisse être montée sur un plateau. C’est tout l’enjeu de Black Lights.

Au plateau nous retrouvons 8 interprètes singulières. Vous ont-elles inspirées pendant le processus de création, notamment à travers leur propre parcours de femme ?

Pas vraiment non car je ne me considère pas comme une psychologue, mon travail ne se situe pas à cet endroit. Je ne souhaitais pas entrer dans leur vie et préférais bien plus m’ancrer dans les 9 textes que j’avais choisis pour la pièce. Bien sûr que nous avons discuté entre nous des violences faîtes aux femmes. Avant les répétitions, pendant le processus de création mais pas dans l’optique que ces échanges nourrissent la pièce. Il nous fallait mettre de la distance entre nous et les textes. Certains sont extrêmement durs à lire, à incarner au plateau, à réciter ou à entendre. Toute la subtilité était ici de travailler très finement sur le ressentiment.

Comment avez-vous constitué votre casting ?

J’ai cette chance d’enseigner à travers le monde tout au long de l’année grâce à des stages, des workshops que je donne et je rencontre ainsi de fabuleuses personnes, toujours dans des contextes différents. Je ne fais jamais d’auditions pour mes créations car je n’en ai pas le temps, pas l’envie, pas le besoin. Aussi chacune des interprètes de Black Lights est le fruit d’une belle rencontre.

Black Lights présente des corps à terre, fracassés ou malmenés  et qui se relèvent petit à petit pour devenir fiers et revendicateurs. C’est une ode à la femme puissante ?

Je précise là que le début de la pièce présente des facettes plus multiples du corps de la femme. Elle y est burlesque, élégante … pas seulement « cassée ». La chronologie est plus subtile mais oui il y a cette idée de présenter une femme qui refuse ce statut de victime. Ce statut est tellement simpliste : il permet aisément la division, l’identification, la stigmatisation. Il faut sortir de ce schéma et dire clairement que nous pouvons nous emparer de notre destin. Nous relever.

Le décor laisse entrevoir des souches d’arbres d’où s’échappent de la fumée …

Oui ce sont des souches d’oliviers. La présence sur scène de cet arbre est un clin d’œil à la région d’où je viens. Nous avons d’ailleurs recueilli ces souches dans les champs aux alentours de chez moi. Avec l’olivier, il y a aussi cette question du temps qui est posée. L’histoire que nous racontons là est vieille de plusieurs millénaires. Bien avant #MeToo, les femmes tentaient d’imposer leur voix, se révélaient résilientes, étaient puissantes. Dans la tragédie grecque sourdait déjà toutes ces notions …

Puisque vous soulevez la question de #MeToo, comment expliquez-vous que le milieu de la danse n’a pas encore emboîté le pas à l’industrie du cinéma ou de la musique ?

Le milieu de la danse est loin d’être aussi connu que les deux autres industries que vous citez. Sans doute que la résonance médiatique de telles révélations au sein de ce milieu serait très faible… ce qui d’ailleurs n’est pas un argument pour que les voix s’y taisent. J’ai le souvenir cependant qu’il y a quelques années des chorégraphes comme Jan Fabre ou Daniel Dobbels ont été accusés de violences sexistes et sexuelles (Ndlr : Jan Favre fut condamné en avril 2022 à une peine de dix-huit mois de prison avec sursis). Dans le milieu chorégraphique les violences sont également très présentes envers les hommes. Est-ce qu’homme comme femme s’y protègent, par le silence, plus que dans d’autres univers artistiques ? Ont-ils peur d’être spolié-es par leur milieu ? Bien sûr que je suis au courant que certains ou certaines chorégraphes peuvent avoir un comportement très autoritaire fortement déplaisant mais des cas de violences sexistes ou sexuelles – d’une toute autre teneur – je n’en connais pas.

Des ateliers sont organisés à la suite de certaines représentations de Black Lights. Qu’y proposez-vous ?

Ce sont des ateliers sur le corps. On s’y réconcilie avec lui, on cherche à y retrouver une sensation de bien-être. Je parle d’un corps de guérison. Là encore la parole n’est pas centrale, les participantes engagent plus le corps que la voix. Si elles veulent se raconter, se dévoiler bien sûr qu’un espace leur est offert mais, comme avec mes interprètes, j’estime ne pas avoir cette capacité à utiliser leur parole pour en faire le matériau d’un atelier. Par contre je serai toujours dans l’écoute. Je pense que cet atelier est conçu comme un accompagnement, la parole s’y libère mais après le corps… Et je reste persuadée qu’on ne peut traiter le corps et l’esprit séparément.

Il y a un partage et une complicité en adresse directe avec le public qui écoute autant qu’il regarde dans votre pièce. Qu’est-ce qui se dit sur les bords plateaux, à la sortie des représentations ?

Je suis très étonnée de voir le public féminin pleurer. Mon équipe et moi-même en sommes très impressionnés et touchés. On ressent cette vague d’émotion à la fin des représentations. On vient nous remercier. Les réactions sont très directes, immédiates, à l’image de la parole portée par les danseuses de Black Lights. D’un coup, on se sent utiles. D’autant plus utile lorsque j’ai su qu’à la sortie d’une des représentations deux spectatrices qui rentraient ensemble chez elles ont essuyé une tentative d’agression par un homme. Elles ont trouvé le courage de ne pas se laisser faire et ont échappé au pire. J’aime à croire que Black Lights leur a donné cette force, cette puissance de se faire respecter.

Propos recueillis par Cédric Chaory

© Marc Coudrais / portrait Mathilde Monnier © Marc Domage

Mathilde Monnier – Chorégraphe

BLACK LIGHTS – 23/24 – La Coursive Scène Nationale La Rochelle (la-coursive.com)