Je ne suis pas blanche – Cyrinne Douss

"Nous sommes faits du bruit des autres." Antoine Vitez

Ne jamais se fier aux apparences et faire feu de tout bois
Pas de langue de bois, se passer la bague au doigt
Abolir la distance entre corps social et corps-peau-réité
Réitérer le geste pour que la geste prenne forme
Aller de l’avant, Devancer pour mieux avancer
Tirer son chapeau avant les cartes
« Un coup de dés n’abolira jamais le hasard. » (Stéphane Mallarmé)

Ici Cyrinne Douss tisse pour nous les fils de la mémoire familiale. Celle du couple de ses parents, celle dont elle est issue et dont elle s’est extraite, un don en quelque sorte… Sa danse incisive, ses tracés précis, ses déplacements conformes à la volonté du dire, d’énoncer, de nous
faire entendre ce qui à l’époque ne l’était pas… Ces langages qu’elle nous livre à travers une gestuelle longuement étudiée et métissée, pétrie d’heures de travail, de réflexions, de suggestions, de retournements nous étonnent, nous embarquent sans équivoque. 

Ce que propose la danse de Cyrinne Douss, c’est de suivre la direction qu’elle indique au travers le langage corporel entretenu avec le monde, vaste constellation familiale. Ici pas de place au doute, une parole s’affirme entre chien et loup. Ce corps de femme puissante,
protéiforme, des rives de la Méditerranée jusqu’à la Manche, nous entraîne dans son sillage. Son corps est récit, se donne, se reprend, interroge nos espaces, nos liquides, nos muqueuses… Domaines inaliénables que nous partageons tous sans avoir à justifier de nos origines.

En quoi notre peau, nos yeux, notre langue, nos dents à nous, issus de cultures multiples, influent sur le dialogue tissé avec l’univers ? Son corps ouvre la porte du secret. 

Rendre hommage au courage et à la ténacité, s’assouplir dans une rondeur surprenante, questionner ses possibles, voilà la danse de Cyrinne Douss, une danse qui ne transige pas, une danse qui ouvre le chemin, une danse qui se construit sur des appuis solides, des prises de décisions risquées, non conventionnelles, une danse poé-litique qui préserve la singularité, la dignité d’être une femme qui n’est pas blanche…
Ce moment partagé avec nous, nous redonne chance, nous redonne en-vie, nous donne de la joie, nous donne tout simplement et pour cela nous l’en remercions.

Léone Beausoleil – Vu au Réservoir Danse le vendredi 10 février 2023 

©Jesser Lahdhiri