De l’intime à l’universel
Au plateau, des centaines de sacs plastique colorés soigneusement disposés. Les jaunes avec les jaunes, les bleus avec les bleus. Les bandes de couleurs créent un arc-en ciel qui n’aurait su s’élever dans les airs pour rester cloué au sol. Pour une ouverture de spectacle, l’effet est saisissant mais déjà un protagoniste vient en perturber la beauté. Il s’agit de Tidiani N’Diaye, interprète malien repéré chez Gilles Jobin, Nelsime Xaba ou encore Qudus Onikeku et qui depuis 2009 signe ses propres créations.
Coiffé d’un chapeau lui-aussi entièrement constitué de sacs plastique, le danseur traverse cette mer d’huile et irisée, soulevant à peine quelques poches. Une légère houle se dessine lorsqu’il s’assoit au centre du plateau. Quel ennui qu’une chambre trop bien rangée d’un enfant ! Tidiani le sait et va s’attacher à ambiancer cet espace trop propret. Assis, couché, à genoux… sur le ventre, sur le dos, il explore au raz-du-sol ce tapis aux milles couleurs. A s’y vautrer ainsi, l’arc-en-ciel se transforme en chaos aux atours de rues de bidonville. Ah ce foutu ennui « quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris, Il ferait volontiers de la terre un débris. »
Pourtant de cette pagaille Tidiani tire de belles images : celle où les sacs sont pris dans le roulis multicoloré de ses bras, celle où il traverse lentement la scène portant sur sa tête un ballot de poches. Ces images nous ramènent à cette délicate poésie déjà vue dans L’après-midi d’un foehn de Phia Ménard (2011), hit incontesté des pièces jeune public qui mettait en scène marionnettiste et objets volants non identifiés.
Dans un second temps, Moi, ma rue, ma chambre met en scène un nouvel objet tout autre aussi trivial : un large tapis aux ornements vaguement orientaux. Alors que résonne l’échappement d’une horloge, Tidiani s’y assoit à côté, vraisemblablement lassé de ces froufrous de plastique dont il a exploré tous les possibles. L’ennui l’assaille à nouveau… et si le tapis était son nouveau terrain de jeu ? En s’y enroulant dedans, il s’invente lombric et autres bestioles promptes à ravir son auditoire. L’effet, d’une simplicité désarmante, a été maintes fois éprouvé mais additionné aux notes discordantes de piano, au sol ravagé de plastique, aux motifs du dît tapis laissant apparaître de drôles de visages, une inquiétante étrangeté s’installe. Puis le tapis se fait cabane… C’est bien connu dans les chambres d’enfant, les cabanes sont légion.
Rassuré dans son cocon, Tidiani peut enfin s’évader de sa chambre. Un tapis volant c’est quand même bien pratique pour oublier les langueurs d’un après-midi malien qui n’en finit pas… Alors qu’il s’était présenté au public rampant au sol, le voilà debout, entamant une course folle avec pour étendard son tapis. Les pochons tournoient de concert.
En les regardant, on songe bien évidemment à toutes ces décharges à ciel ouvert qui défigurent campagnes et cités du monde entier. Tidiani N’Diaye fait alors résonner son désordre intérieur au chaos de cette planète bleue qui vire au gris, étouffée par toute sorte de pollution. « Au Mali, sur les décharges, des enfants, des femmes, des vieux, des jeunes travaillent pour gagner quelques Francs CFA et cela crée de nombreux problèmes de santé. Les déchets sont brûlés, dégageant des vapeurs toxiques respirées par les populations voisines. Les montagnes de déchets ont fini par former de nouveaux paysages que l’on contourne comme un élément géologique naturel. Des rivières de plastique se déversent dans les rues, recouvrent les trous comme des flaques, on les enjambe ou les esquive de justesse. » écrit le chorégraphe.
Relecture d’une enfance malienne où s’entrechoquent état intérieur et désordre extérieur, poésie et conscience écologique, Moi, ma chambre, ma rue, porté par le solaire Tidiani N’Diaye, emballe petits et grands.
Cédric Chaory.
Tournée : 27 janvier (Ile d’Oléron), 28 & 30 janvier La Maline (Ile de Ré), 7 & 8 février Ernée en Mayenne, 13 & 14 février Jardin de Verre (Cholet)
©Dorothée Thébert Filliger