Faire fleurir – Nicolas Fayol

Fenêtre sur grotte

La hauteur sous plafond de la Chapelle Fromentin avait été redécouverte par l’entremise d’une performance de Chloé Moglia lors de l’inauguration des Mille Plateaux CCN La Rochelle à l’automne dernier. Tête relevée, yeux pointant vers les voûtes, le public appréciait les beaux volumes du bâtiment nouvellement investi par la chorégraphe Olivia Grandville. Faire fleurir impose le chemin inverse : baisser le regard pour y scruter le sol où repose un corps recroquevillé. A ses côtés une pierre oblongue que porte une sorte de balle de ping-pong.

Les trois gradins qui entourent cet espace de tout juste 25m2 ne voit que ses deux premiers rangs occupés, on a d’ailleurs invité le public à s’asseoir au sol. C’est que la scène possède une incongruité : un plafond très bas, 1m50 tout au plus. Ce dispositif trifrontal est complété par la présence de deux musiciens (Mont Analogue, duo formé par Alexander Van Pelt et Ben Lupus). Singulier, ce dispositif va être le théâtre d’un cérémonial hors-du-temps.

Un réveil, une errance, des obsessions (déplacer une pierre, tenir en équilibre dessus), un repos-contemplation… voilà ce que nos imaginaires projettent dans le cheminement du danseur. Défait de sa verticalité, contraint à des déplacements oscillants entre frêle bipédie et virtuose quadrupédie, il est mi-homme, mi-animal. D’un autre âge, passé ou à venir. Est-il terré dans sa caverne préhistorique ou confiné dans un engin spatial du prochain millénaire ? le solo Faire fleurir sème, au fil qu’il se déroule, moult interprétations.

Le chorégraphe précise : « Mon envie première était plus d’étudier une forme précise – celle des 4 appuis au sol – que de nécessairement raconter une histoire si ce n’est celle de déplacer un caillou quand tu ne peux pas t’ériger sur tes jambes. Bien sûr que la pièce comporte des images symboliques mais elle reste ouverte à tous les imaginaires. Faire fleurir doit être surtout considéré comme une étude à travers le break et son rapport au sol. »

Electron libre de la scène hip hop, Nicolas Fayol (aperçu chez Bruno Geslin, Alain Buffard, Sébastien Lefrancois, Lloyd Newson, Raphaëlle Delaunay, Yoann Bourgeois, Montalvo- Hervieu et surtout Christian Rizzo) a développé un break original. Un qui fait fi de l’esbrouffe, de la performance, de la démonstration. Un, virtuose, qui s’amuse à distordre le geste, étendre le temps. De cette manière de décaler et d’étirer la grammaire break, Nicolas Fayol donne à voir la naissance du geste hip-hop et, heureuse découverte, sa délicatesse. La partition chorégraphique de Faire Fleurir a beau être extrêmement gymnique, elle est exécutée tout en souplesse. Nulle tension dans cette floraison… Cul par-dessus tête, tel un Mowgli breakeur, Nicolas Fayol impressionne par le moelleux de ses réceptions, capable d’exécuter un nombre impressionnant de roulades arrières encore jamais vues, sans ciller et sans bruit. « J’ai appris le break dans mon coin. Je reviens ici à ses origines : le raz du sol. J’aime l’idée de rabaisser, de ne pas aller vers le haut de la pyramide… ». Revenir aux fondamentaux du sol mais aussi à celui du cercle de la battle hip hop, à sa promiscuité. En dansant à moins de 2 mètres du public, le chorégraphe instaure une belle intimité avec lui. Attention généreuse.

Epaulés par Rebecca Journo et Christian Rizzo, « une jeune chorégraphe et un vieux chorégraphe » comme il le précise avec malice, Nicolas Fayol était au CCN de La Rochelle pour une septième résidence. Ce 15 décembre, la présentation de ce Faire Fleurir work in progress ne proposait pas le travail de lumières. Elles seront travaillées entre mai et août 23 et animeront sol et ciel, provoquant « une sorte de schizophrénie ». Si elles sont à la hauteur de la partition musicale – forêts électroniques et biotopes digitaux de haute tenue – et chorégraphique, tout porte à croire que du solo de Monsieur Fayol éclora un splendide bouquet.

Cédric Chaory

https://collectif-hinterland.org/

©Lucie Corbeille