Flower Power
Pour sa nouvelle création, la compagnie Sine Qua Non Art s’est alliée à l’artiste brésilien Fabio Motta et la fleuriste rochelaise Dorothée Sullam. Où il est question de désir naturel, de besoin essentiel et de mouvement assouvi. Retour sur la présentation professionnelle de Nos Désirs font désordre, prochainement diffusé à La Coursive.
L ‘émotion était palpable ce jeudi 7 janvier à La Coursive. Christophe Béranger présentait devant un parterre de professionnel-le-s Nos Désirs font désordre, nouvelle et ambitieuse création de sa compagnie Sine Qua Non Art qu’il dirige avec Jonathan Pranlas-Descours. Initialement programmée les 8 et 9 janvier à la Scène nationale de La Rochelle, Nos désirs rassemble douze interprètes au plateau. Une première pour les deux chorégraphes rompus à l’exercice des pièces de groupe pour des compagnies internationales mais jusqu’alors habitués aux petites formes pour leur propre répertoire. Avant que le noir plonge la quarantaine d’happy few présents dans la salle, Christophe explique : « C’est un peu irréel de voir une salle avec du public … j’en ai la gorge serrée. Je remercie tous les partenaires qui nous ont soutenu en ces temps incertains. Nous sommes tous essentiels et le meilleur vaccin contre la bêtise humaine c’est la culture ! »
Au commencement, des corps qui se dénudent pour ne porter qu’un slip noir et un complexe entrelac géométrique de cordelettes entravant torse et tête. Les artistes se positionnent sur des feuilles blanches formant un arc de cercle puis entament une rotation froide et mécanique que seuls enrayent des gestes expressionnistes des bras et du visage. Là un cri sans son, un doigt qui pointe public ou ciel, ici deux bras qui s’étirent dans un élan christique, un poing qui se lève à la Black Power pour venir toucher le front à la manière d’un Penseur rodinien. Au son d’une musique indu oppressante sourd le chaos. La révolution germe, incontestablement et très lentement car Nos Désirs font désordre prend tout son temps.
Son temps d’exposer, telles des sculptures douées de mouvement, des corps empêchés. La pièce résonne ainsi avec notre actuelle situation où l’immense majorité des humains est assignée à résidence. Empêchée de tout si ce n’est de consommer et travailler. Empêchée mais rebelle car très rapidement la mécanique s’enraye au plateau. Notre petite humanité (saluons la distribution, parfaite) s’éparpille, se singularise et fait l’apprentissage du groupe. Elle se déplace comme une masse compacte indéfectiblement liée par des mains qui s’agrippent à tous membres disponibles. Elle ira jusqu’à dégouliner du proscénium aux premiers rangs du public, non sans une sensualité exacerbée.
Son projet : tout exploser … mais avec poésie. Dans un ensemble particulièrement physique, les interprètes entament une série de déplacements composée de petits rebonds, de courses sautillantes et kicks bien placés. La nature (humaine) reprend là ses droits. Fruit d’une lente maturation, les corps fleurissent. La pièce vire alors à l’expérience sensorielle unique avec l’arrivée de dizaines de fleurs qui embaument toute la Coursive et recouvrent les corps. Sentez comme nous sommes beaux quand nous ne faisons qu’un avec Mère Nature … Ragaillardi, le groupe est alors fin prêt à lâcher la bride. Avant l’orgie finale, les artistes arpentent la salle, distribuant à quelques spectateurs de menus bouquets. C’est au son de Whole Lotta Love de Led Zeppelin, hymne Flower Power par excellence, que Nos désirs font désordre s’achève dans un déluge d’eau et de corps puissamment érotiques. À l’origine de ce tube de 1978, un blues de Willie Dixon : You Need Love car oui nous avons besoin d’amour et c’est par celui de son prochain que le monde (d’après) doit être repensé.
À l’instar d’une plante qui laissera passer automne et hiver avant de révéler toute sa beauté colorée, Nos désirs font du désordre prend tout son temps avant d’exposer ses beautés. Ce qui pourrait apparaître comme des longueurs n’est qu’expression de la maturation propre à la floraison, à la montée du désir aussi. Prendre son temps dans nos sociétés hystériques c’est aussi une révolution en soi. En sortant du théâtre, Led Zeppelin a laissé place, dans mon cerveau, aux mots délicats de Laurent Voulzy qui, il y a 20 ans déjà, louangeait la puissance et la subversivité des fleurs dans son tube gentiment hippie Le Pouvoir des Fleurs.
« Fallait voir
Imagine notre espoir
On laissait nos cœurs
Au pouvoir des fleurs
Jasmin, lilas
C’étaient nos divisions, nos soldats
Pour changer tout ça »
C’est clair, je regarderai désormais d’un œil neuf le désordre de mon jardin, cet éclatant rebelle.
Cédric Chaory.
©Marie Monteiro