Errances : le poids de ma vie que je déplace
Programmé dans le cadre de Spectacles d’hiver – zoom sur la création en région Nouvelle-Aquitaine, organisé par le Réseau 535, le solo Errances du chorégraphe Auguste Ouedraogo a littéralement séduit les programmateurs réunis ce mercredi 29 à la Maison de l’étudiant par la justesse de son propos.
Dos au public, côté cour, un homme est assis sur un promontoire que recouvre une veste. Dans sa diagonale, en fond de scène, trône une sculpture englobée par une structure de métal fondu. Telle est l’image inaugurale d’Errances, douzième création de la Compagnie Auguste implantée à Bordeaux depuis 2000.
Apercevant la statuette haute d’une trentaine de centimètres, l’homme s’en approche, renversant son écrin couleur cuivre. Il observe alors cet étrange objet, s’accroupissant puis s’allongeant pour mieux en appréhender la forme que la pénombre peine à imprimer au plateau. La déambulation-observation est contrainte : l’homme a un de ses bras courbé au niveau de l’épaule. Comme mort, ce bras ralentit sa reptation cependant tonique. Volontaire. Décidée.
Alors que la musique electronica de Jon Hopkins et Manuel Wandji se fait plus percussive, l’homme abandonne l’horizontalité pour une danse debout. Contrainte toujours : ses mains sont indubitablement liées. Multidirectionnelle la danse ne peut s’empêcher de revenir à un seul et même point : cette sculpture d’un homme debout, immobile, portant sur son dos courbé un énorme fardeau.
Portant puis faisant tournoyer sur sa tête l’écrin précédemment renversé, le danseur nous signifie ce qu’on avait déjà deviné : une envie d’ailleurs, de nouveaux horizons, de déplacer sa maison vers d’autres latitudes. Il est temps pour lui de se revêtir de sa veste car l’heure du grand départ a sonné. Sous ce pardessus se cache une petite valise, symbole de tous les maigres effets que le voyageur compte emmener dans son épopée. Aux yeux du monde il n’est plus homme désormais : il est migrant, ce terme contemporain, anonyme que recouvre bien des tragédies. Littéralement attaché à sa valise qu’il traîne péniblement il part, torche à la main, vers un inconnu qu’il espère meilleur. La sculpture lui a t-elle soufflée cette fuite prétendue salvatrice ? Il sait le chemin tortueux, long mais il s’engage dans ces Strange Ways, du nom de la musique alors diffusée.
Il laisse derrière lui la carcasse de la maisonnée en métal, ne se retournant même pas sur cette terre qui l’a vu naître. À la différence de la petite sculpture qui campe fermement ses deux pieds dans le sol, immobile et aux yeux horrifiés, notre homme s’en va vers son destin. Rideau.
En 30 minutes intenses et oniriques, Auguste Ouedraogo nous dépeint cette tragédie humaine qu’est la migration. Créée dans le cadre du Festival d’ici Dance (St Germain de Puch), le chorégraphe burkinabé a été invité à composer une oeuvre autour d’une des sculptures de Sahad Koanda, telle une façon de mixer danse et éléments plastiques par l’intégration de l’oeuvre dans le jeu de corps du danseur. Subjugué par Le Fardeau – qui fut reproduite et réduite pour l’occasion, l’originale appartenant à un amateur d’art éclairé – l’artiste développe une histoire imaginaire et terriblement universelle. Questionner les mouvements immémoriaux des populations par un geste chorégraphique motivé par le hiératisme propre à une sculpture, voilà toute l’ingéniosité d’Errances, œuvre sensible à la lecture immédiate. Minimaliste mais à la portée maximale.
Cédric Chaory
Crédit photo : Benoit Martrenchar