Jeunesse émergeante
Kinshasa Electric est une partition pour trois jeunes danseurs congolais Popaul Amisi, Jeannot Kumbonyeki Deba, Joel Makabi Tenda, pour une DJ Baba Electronica, Daniela Bershan d’origine israëlo-allemande, mais aussi pour deux invitées : Lune, chanteuse suédoise aux sonorités proches de l’artiste islandaise Bjork, et la danseuse congolaise Jolie Ngemi. Le tout chorégraphié par l’artiste d’origine polonaise, née à Toronto et installée en Belgique Ula Sickle.
Avec ce petit tour d’horizon de la distribution du spectacle, on prend vite conscience que le métissage et les lieux de rencontres entre les cultures sont à l’origine du projet. Ula Sickle se rend au Congo depuis 2008. De ces aller et retour, deux solos sont déjà nés : Solid Gold et Jolie (présenté aux Rencontres chorégraphiques internationales de Seine Saint-Denis en 2011). La chorégraphe part ici des liens qui se tissent entre les cultures, des choses qui nous rassemblent bien plus que celles qui nous séparent.
La première scène joue sur cette globalisation du tout électronique. Comment appareils photos, tablettes, téléphones portables… ont pris une place énorme dans nos vies et dans nos rapports les uns avec les autres. Une sur-communication dans laquelle l’échange et la relation humaine perdent leur place. Suite à cette scène on pourrait penser qu’un fil va être tiré autour de ce thème mais rien de cela. La suite du spectacle est une succession de moments dansés et de déplacements dans l’espace, avec certes des interactions entre les danseurs, la DJ et la chanteuse, mais point de narration ou de fil conducteur. Sans doute faut-il aller chercher ailleurs l’unité de la pièce ?
Kinshasa Electric, donne la part belle aux trois jeunes danseurs cités précédemment. C’est eux, qui nous font voyager à travers leurs danses, leurs personnalités. Chacun des danseurs rend compte de son parcours dans une ville électrique, Kinshasa la capitale du Congo, et des influences qui les traversent quelles soient occidentales, traditionnelles, urbaines. Toutes ces inspirations et leur vie quotidienne sont autant de richesses leur permettant de créer une danse singulière, contemporaine parce que d’aujourd’hui. On perçoit très vite les codes avec lesquels composent les jeunes interprètes, ceux avec lesquels ils jouent ou encore ceux qu’ils détournent. Des codes liés à la technologie, aux médias, à la mode, au commerce à l’échelle mondiale. C’est à partir de ce grand mix que se créent des danses, que de nouvelles façons de faire ou d’être apparaissent.
Certaines des danses urbaines proposées, sont des références aux guerres qui ont déchiré le pays, de 1996 à1997 et de 1998 à 2002. L’une d’entre elles, qui pourrait s’appeler danse de la mitraillette _les danseurs les genoux fléchis miment l’arme et les tirs en secouant leurs bras_ montre bien la porosité entre la vie quotidienne et l’art qui en émane. Les trois danseurs s’inspirent évidemment des danses de leurs ainés et se les approprient avec les codes d’aujourd’hui ceux que leur jeunesse invente en permanence. Inventions qui sont aussi en partie dues à internet et à tout ce qui s’y joue. Ils terminent d’ailleurs leur tour de danse avec une chanson de Stromae qu’ils interprètent à leur manière. Autre façon de nous dire que la connexion existe bien.
Kinshasa Electric est un spectacle au propos encore une fois intéressant, mais dont mise en scène et scénographie sont parfois ennuyeuses et floues. On s’accroche alors à l’énergie des danseurs et à leur force de conviction. Et à n’en pas douter, ils iront loin.
Fanny Brancourt, Nouveau Théâtre de Montreuil (Juin 2014)
©Bart Grietens