Penthésilées, est pour Catherine Diverrès l’occasion d’une nouvelle étape dans son travail chorégraphique. Désormais installée à Vannes, la chorégraphe renoue ici avec différents éléments notamment le groupe et le mythe, tout en enrichissant un chemin artistique déjà foisonnant. Catherine Diverrès convoque le mythe grec de Penthésilée, la reine des amazones, dans un texte écrit par Kleist au 19ème siècle. Ce dernier fait ici d’Achille non pas le meurtrier de Penthésilée mais sa victime. Renversement de situation utilisé par la chorégraphe afin de révéler des figures féminines qui vont de la guerrière à la dévote, en passant par la mère, l’épouse.
Penthésilées s’ouvre par une magnifique scène où un homme et une femme dans une douce et triste pénombre, tirent une corde, se rapprochent, se tournent autour puis s’éloignent jusqu’à disparaître. La tension évoquée par cette corde va caractérisée toute la première partie du spectacle où hommes et femmes (ils sont neuf interprètes, tous exceptionnels de par leur présence, leur énergie et l’engagement sans faille qu’ils déploient) se jettent dans une danse duelle. Munis d’épée, les danseurs tous de noir vêtus entrent en guerre. Certaines parties dévoilées du corps des femmes pourraient laisser supposer à une certaine fragilité ou vulnérabilité, il n’en est bien sûr jamais question. Femmes et hommes combattent à armes égales les uns et les autres étant tour à tour vainqueurs et vaincus.
Cette séquence est l’occasion de retrouver l’écriture chorégraphique de Catherine Diverrès. Les corps enchainent courses et sauts, se figeant lors du retour à la terre, et repartant dans des élans insoupçonnés vers d’autres directions. Les lignes sont tendues puis se courbent à la manière de ces fleurets manipulés par les danseurs avec grâce et autorité. Suite à ce ballet virevoltant, tranchant l’espace de part et d’autre, demandant une énergie et une précision sans faille, hommes et femmes se cabrent et trottent comme des chevaux, pour enfin s’apaiser et entamer une danse où les mains tendues les uns vers les autres, ils circulent, arrondissant les trajectoires, caressant l’espace. Douceur et intimité émergent. La figure du couple apparaît.
Commence alors la deuxième partie du spectacle qui n’a que très peu à voir avec la première. Le plateau pratiquement vide lors de la première partie _si ce n’est les trois panneaux le délimitant, les mégaphones qui sont installés au-dessus de ces-derniers, et le sol recouvert de sortes de granules noires_ s’éclaircit, se remplie de tables, de chaises et bientôt de penderies aux vêtements colorés. Cet univers complètement différent du premier, nous propose de nouvelles figures féminines. Vêtues de robes colorées, elles sont tour à tour dévotes, infirmières, mères, épouses fidèles. Elles se jouent des hommes. Scène explosive où après s’être dévouées à habiller et faire manger un homme, les femmes se jettent sur lui et le dévorent. On glisse alors petit à petit vers une théâtralisation du propos, dont on perd le sens quant au texte de Kleist sur lequel la chorégraphe s’est appuyée. Il n’est plus question d’amazones et de leur reine.
Chaque danseur revêt frénétiquement costume, perruque, accessoires pour passer une audition. Audition dont ils se font tous rejeter par un « non » autoritaire. Moment qui se veut drôle, et qui l’est parfois mais dont on ne saisit pas la portée quant au propos de départ.
Penthésilées est un spectacle plein de promesses, avec encore une fois des danseurs magnifiques d’une incroyable maturité (la plupart ont déjà travaillé avec Catherine Diverrès, et l’on sent l’indéfectible lien les unissant à son travail), qui nous convie à un voyage singulier mais dont les étapes nous égarent sans qu’on puisse aller vers d’autres imaginaires.
Malgré une danse, une scénographie et des intentions dramatiques fortes, notre intérêt ne parvient pas à s’installer dans le temps. Ceci est dû en partie à la bande sons parfois désagréable, notamment avec la musique du début, et inaudible lorsque les interprètes s’expriment dans un mégaphone, ou dont on entend les voix. Mais le désintérêt se manifeste aussi à cause de ce propos clair au départ, qui se diffuse petit à petit jusqu’à nous échapper sans qu’on comprenne comment. Sans qu’on puisse se rattraper à autre chose. Dommage.
Fanny Brancourt, Théâtre national de Chaillot Paris (Mars 2014)
©Caroline Ablain