D’abord, quelques réserves d’usage, ne serait-ce que pour la forme et rester crédible. Le récit, puisqu’on est dans le mainstream représentatif/narratif du musical d’avant-guerre, nous a paru à la fois mince (sans aucun rebondissement, par exemple) et redondant (l’argument, la mort et la tentative de résurrection d’un célèbre dancing portène, est réduit à la peau de chagrin d’une simple chronologie) d’autant qu’on a l’impression qu’il nous est est, servi deux fois, le deuxième acte étant un copié-collé du premier. On n’y a relevé que peu d’idées nouvelles, pour ce qui est de la mise en scène proprement dite. Mais, ce qui nous semble le plus gênant, c’est que la B.O. soit majoritairement à base de musique en conserve, pré-enregistrée, l’orchestre live, excellent, aucun doute là-dessus, étant limité au minimum syndical : bandonéon (Leonel Gasso), comme le veut le genre (manquerait plus qu’il n’y en ait pas !), piano (Juan Pablo Gallardo), violon (Lucas Furno), contrebasse et direction du cuarteto (Juan Miguens), chant (« Black » Rodriguez Mendez).
Heureusement, il y a les autres composantes du spectacle qui font que cela marche. Prenez la pantomime, art qu’on croyait mort et enterré depuis lurette, au moins depuis la disparition écranique du mime Marceau (grosso modo à la fin de la télévision gaulliste suite aux « événements » de mai 68). Ici, cette expression antique est préférée, à juste titre, aux dialogues qui en temps ordinaire, servent à lier la salsa entre les numéros musicaux et les routines dansées. Parole est donc laissée aux milongas qui font la joie du public du Châtelet et qui se succèdent avec bonheur (leurs lyrics sont d’ailleurs traduits en français et sur-titrés en vidéo). Il faut dire que ces morceaux ont été bel et bien choisis, adaptés aux circonstances et au regard rétrospectif sur le cabaret disparu, un des temples mythiques du tango, lieu fameux car malfamé, et adaptés musicalement dans l’esprit des standard du genre, apparus des années trente à cinquante, parfois altérés d’infrabasses « électro ». Les costumes, les éclairages et l’immense décor sont tout aussi réussis.
Et la danse ! Que ce soit sous forme de variations teintés de pas, d’attitudes, de port de bras néo-classique, de danses de couples, isolés ou bien en ordre de bataille, à l’unisson, la danse est magnifique, nette, précise, élégante, sans aucun effet de manche ou d’aiguille à tricoter. Sensuelle. Les extras « Années folles » (charleston, swing, blues), sous forme d’emprunts au jazz, passent bien, loin d’être ridicules (cf. par exemple la scène de bastringue avec la star en robe émeraude faisant un clin d’œil à Cyd Charisse dans Singin’ in the Rain). Le casting a été d’une grande exigence car chaque danseur, homme ou femme, est d’un niveau technique remarquable et capable de virtuosité. Nous gardons le meilleur ou la meilleure pour la fin : Miss Mora Godoy ne se contente pas de signer tout ce qui peut l’être (conception, chorégraphie, livret, production, etc.). Elle est présente, par intermittences, du début à la fin du show et nous gratifie de mouvements de tango authentique, enrichi et nullement édulcoré par la connaissance d’autres genres de danses du passé – ballet académique, cancan revisité par Massine, variétés issues de Broadway. À force ce fixer les talons-aiguilles, on ne sent pas passer les deux tours de grande aiguille que dure le spectacle.
Nicolas Villodre, Théâtre du Chatelet Paris (Octobre 2013)
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