Vertigineuses mues
Pièce créée en 2008, Vortex revient à Paris pour de nombreuses dates, toutes complètes. C’est donc une chance d’avoir pu assister à l’une de ces représentations. Un travail sans égal mené par la jongleuse, danseuse, scénographe et chorégraphe Phia Menard. La question de l’identité est à travers cette pièce de nouveau mise en abîme. Phia Menard n’hésite pas à se défaire de ses nombreuses peaux comme autant d’identités, qui l’enferment, la contraignent. Elle se libère ainsi minutieusement et avec application d’un gros corps massif, jusqu’à la nudité. Une libération fruit de transformations où elle soustrait plutôt qu’elle ajoute. Les différentes identités de son personnage sont contenues dans une matière, le plastique. Il est celui par qui elle semble renaître en permanence.
En prélude à ces mues, Phia Menard, méconnaissable dans ce personnage énorme aux lunettes, chapeau et costumes noirs, s’atèle à donner vie à des sacs plastiques, de ceux qui ont envahi notre quotidien. Par un découpage simple mais précis, quelques bouts de scotch, et grâce à l’aide de ventilateurs placés en cercle tout autour de l’espace scénique, les sacs deviennent des personnages à part entière. Des marionnettes douées de vie voire même de sentiments lorsque le vent s’y engouffre. La simplicité de ce procédé relève de la magie. L’émerveillement est total. Une incroyable puissance se dégage de ces petits êtres fragiles tributaires de l’air et de sa force. Ils sont projetés, au centre du plateau, vers le ciel. Des danses les font se déplacer s’enlacer, s’écarter puis revenir ensemble comme des êtres appartenant à la même communauté. Impossible de ne pas projeter des émotions, des sensations sur ces êtres délicats. Le ballet opéré grâce aux ventilateurs et au déplacement de l’artiste, humanise complètement la matière plastique.
Phia Ménard, chef d’orchestre de ces danses, commence alors sa propre mue. Cet homme énorme, qu’elle incarne au début du spectacle, laisse petit à petit apparaître une femme aux formes généreuses, en combinaison blanche à l’image du personnage de Musidora créé par Louis Feuillade. Les marionnettes plastiques ayant disparu du centre du plateau, elle y prend naturellement place, pour elle-même être portée et déportée vers d’autres identités. Les transformations se suivent sans jamais se ressembler. Les identités sont multiples, et dépouillées de tout artifice. Qui sommes-nous derrière toutes les couches qui nous construisent ? Celles inhérentes à notre environnement, notre culture, notre éducation, mais aussi celles que l’on s’applique à porter par peur du regard, des regards.
En plus de tout le travail esthétique exceptionnel, toujours présent dans les créations de la compagnie Non Nova, Phia Ménard s’expose aux courants contraires. Entre lâcher prise et résistance, elle déploie une énergie incroyable pour être. Le corps, à l’image des sacs plastiques du début, est lui aussi une matière fragile ; mais qui, mené par une volonté féroce, peut conduire à des chemins vertigineux. Chemins menant vers soi.
Vortex est l’œuvre incontestable d’une artiste qui ne l’est pas moins.
Fanny Brancourt – Parc de la Villette Paris (Avril 2012)
©Jean-Luc Beaujault