Embarquement délicat
Subliminati, c’est cinq artistes aux origines et numéros divers. Une énergie irréprochable, de la poésie évidemment, mais aussi des moments de malaise certains.
L’histoire serait celle de personnages politiques célèbres, de Berlusconi à Obama en passant par Castro. Mais ça n’est pas vraiment cela non plus. Ces personnages sont un prétexte à mettre en lumière des personnalités qui se rencontrent, s’affrontent et cherchent un rapport au monde. Le parcours des uns et des autres sont l’occasion de numéros d’acrobaties incroyables, de jonglages avec massues ou chapeaux, mais aussi de human beat box. Tout au long de la pièce l’énergie est palpable. Elle se déploie sans retenue que ce soit pour inciter le public à encourager Obama à sauter d’une échelle, ou lorsqu’il s’agit de faire danser cette femme pourtant timide et discrète.
Ce chœur d’hommes, nous contant en vrac des scènes de ce monde ci, dégage une envie très forte, communicative, d’être ensemble malgré tout. Du rire jubilatoire voire expiatoire, au malaise le plus grinçant, il n’y a qu’un pas. Pas qu’ils franchissent assez facilement et c’est sans doute ce qui peut désappointer le spectateur. On est parfois, lorsqu’un des personnages enfonce un énorme couteau sur tout son corps, ou encore lorsqu’il est imposé à une femme de montrer son sexe, dans une surexposition, une impudique monstration de la douleur et de l’humiliation. Comment sortir de ces moments où les regards se détournent du plateau, où voir devient insupportable ?
Seule la poésie et une bonne dose de loufoquerie peuvent nous faire dépasser la violence exprimée. Qu’à cela ne tienne ! Le tourbillon d’humour et d’énergie interrompt le laid. Un jongleur s’apprête de chapeaux. Chaque partie de son corps se voit chapeautée, le temps d’une demie seconde, d’un souffle. La lumière dessine son buste nu et l’on ne voit plus que ces chapeaux qui vont et viennent, et s’arriment à la moindre surface du corps du jongleur. Et puis, il y a des moments d’énergie pure où danse et acrobatie se confondent pour sans cesse s’aventurer sur une table, en explorer la surface, l’espace qui l’entoure. Le corps de l’acrobate ne cesse de rebondir, de s’élancer, de s’échapper, d’esquiver pour former un parfait duo avec la matière.
#File_Tone, est un spectacle étonnant car au premier abord quelque peu décousu. On ne saisit pas toujours le fil conducteur. Et c’est peut-être là le propos. Insaisissable, à l’image de notre monde. Il y a assurément dans ce collectif d’artistes une incroyable force de propositions qui porte le spectateur vers des chemins originaux, parfois risqués mais toujours sincères.
Fanny Brancourt – Avignon OFF (Juillet 2012)
©Ben Hooper